décembre 11, 2023

Toutes les communes n’ont pas la «fusionnite»

Publié sur swissinfo.ch le 05 septembre 2010 par Laureline Duvillard

Founex est une commune cossue de l’ouest vaudois. Jean-Michel Zellweger

En Suisse, le paysage communal a fortement évolué. Incitées par les cantons, de plus en plus de petites et grandes communes fusionnent. Une entreprise qui ne se passe pas sans heurts. Reportage à Founex (Vaud), où l’attachement des citoyens à leur commune a fait couler le projet «Terre Sainte».

«Tant que l’épicerie reste au milieu du village, avec la poste à côté, on peut fusionner, cela m’est égal», remarque une habitante de Founex. Une opinion qui n’est pas partagée par tout le monde. Dans la localité vaudoise de 3000 habitants, les citoyens rencontrés semblent plutôt réticents à la fusion avec les sept communes alentour. Alors, au lendemain de l’enterrement de la fusion par leur conseil communal, ils sont soulagés.

Pas question qu’autrui vienne mettre son nez dans les affaires de Founex. Voilà le message que le législatif a fait passer à fin août en refusant, à 25 voix contre 15, le projet de fusion «Terre Sainte», sensé réunir huit communes de cette région de l’ouest vaudois.

Au cœur de ce projet, Founex représentait la plus grande commune en termes d’habitants. Un village chic, avec des villas luxueuses blotties derrière des haies protectrices et des rues calmes, propres et paisibles. Cliché d’une Suisse impeccable. D’ailleurs, une résidente confie: «On est riche, on n’a pas besoin de fusionner». Et la solidarité? La réponse s’arrête à un petit rire ou un léger ricanement, à choix.

Au lendemain de la défaite, Georges Binz, le syndic de Founex, explique l’échec du projet. «La première raison est la peur du changement et de la perte d’autonomie. Les citoyens connaissent leur syndic, leurs municipaux, leurs conseillers communaux. Avec la fusion ils craignaient que leurs affaires politiques passent en d’autres mains. La seconde raison est le fait qu’ici, il existe une véritable fierté d’appartenir à la commune. Les citoyens se sentent constructeurs du village et il veulent conserver ce qu’ils ont bâti. Ici, partager cela n’existe pas vraiment», analyse-t-il.

Le «trend» de la fusion

Partager, c’est la question primordiale. Petites communes ou grandes agglomérations, la fusion c’est un mariage, une mise en commun des ressources pour le meilleur et pour le pire. Sans compter qu’il est ensuite difficile de divorcer. Mais malgré les «disputes de couples», en Suisse, toujours plus de communes fusionnent.

«Aujourd’hui, presque une commune sur cinq se trouve dans un projet de fusion. Depuis 1848, 50% des communes ont disparu», relève Reto Steiner, professeur au Centre de compétences «Public Management» à l’Université de Berne et responsable de l’étude «Challenges to local governments», commandée par le Fonds national suisse de la recherche.

Le processus de fusion a été initié dans les années 90, avec des politiques très incitatives de la part des cantons de Fribourg et de Thurgovie. Il est actuellement plus prononcé en Suisse alémanique. Et le canton de Vaud en particulier est en retard, au vu de son nombre important de communes. Malgré ces disparités, la fusion est cependant un élément central de la politique cantonale de tout le pays.

Selon Reto Steiner, il existe deux types de fusions. «Les petites communes périphériques fusionnent surtout pour se renforcer mutuellement et pour pallier au manque de personnel politique compétent. Le deuxième type, plus récent, initié par Lugano (Tessin) touche les grandes communes. Des villes qui doivent s’associer à leur périphérie pour combattre la pénurie de terrains à bâtir ou pour améliorer les transports publics. Et aussi pour accroître leur poids national.»

 

Avec les avantages, les inconvénients

Si les avantages d’une fusion sont aisément imaginables, notamment pour renforcer son pouvoir politique au niveau régional et cantonal et pour offrir des prestations plus efficaces, l’union peut aussi être délicate.

«Quelle que soit la taille des communes, les fusions posent systématiquement la question de la représentation politique des citoyens et, pour les grandes communes, celle de la future répartition des partis au sein des exécutifs et des législatifs», souligne Katia Horber-Papazian, professeur de politique locale et d’évaluation à l’Institut de hautes études en administration publique à Lausanne. Une fusion entre une commune de droite et une commune de gauche, peut effectivement apparaître explosive.

Et cette question de représentation politique ne se résume pas à un problème stratégique pour politiciens, elle concerne aussi de près les citoyens. Car, comme le note Reto Steiner, «lors d’une fusion, on considère différents facteurs techniques, comme les finances, les prestations offertes aux citoyens ou encore les infrastructures, mais il ne faut pas oublier le facteur émotionnel. Et celui-ci touche directement à la culture politique. Car si celle-ci est semblable entre les communes, les différents citoyens se sentent en accord et se comprennent mutuellement.»

 

La commune, fief identitaire

L’aspect émotionnel joue en effet un rôle primordial. Le refus de fusionner des conseillers communaux de Founex le démontre. « En 2002, nous avons signé une charte entre les communes de Terre Sainte. Dès ce moment, nous avons agi en commun, en nous réunissant régulièrement. Les écoles, le sport, les pompiers, tous ces éléments sont déjà gérés en commun. Et toutes ces évolutions se sont déroulées sans problème. Pour concrétiser ces acquis, il nous fallait une administration faîtière, d’où le projet de fusion. Le refus de la convention de fusion par le conseil communal et du même coup le refus de donner au corps électoral la possibilité de s’exprimer, est donc clairement émotionnel et lié à l’identification à la commune», relève Georges Binz.

Même si les citoyens déploient de plus en plus d’activités en dehors de leur commune, ils y restent très attachés. Pour l’illustrer, Reto Steiner cite les études Univox (sondages qui portent sur l’évolution de la société suisse), qui mentionnent régulièrement que les Suisses s’identifient d’abord à leur commune, ensuite à la Suisse et, finalement, au canton.

Avec les nouveaux contours du paysage communal, peut-être l’ancrage identitaire évoluera-t-il néanmoins. «Si les citoyens voient un réel avantage à la fusion, l’attachement identitaire passe au second plan», relève Reto Steiner. Dans tous les cas, les Suisses peuvent se rassurer, car avec une moyenne de 1000 habitants par commune, ils sont largement en-dessous de la Grande-Bretagne, où le chiffre est de 100’000. Même avec l’évolution des fusions, les petites localités avec une épicerie, une poste, un café pour trinquer et surtout une salle communale, ne sont donc pas prêtes de disparaître.