décembre 11, 2023

Réflexions sur les fusions (autour de Cossonay et d’autres projets) II

Par Eric Vion, citoyen de La Chaux, le 20 septembre 2014.

Chapitre 2

Des fusions toujours heureuses ?
Enquête sur ce que l’on ne dit pas.

Pour le faire le lien entre les chapitres 1 et 2:

Le phénomène des fusions communales a réveillé les appétits territoriaux de
Cossonay. Il est de l’intérêt des vieux centres régionaux d’absorber leurs voisins. On
le constate aussi par exemple à Orbe (qui, comme Cossonay, n’est plus le chef-lieu
d’un district) ou à Echallens (qui pourrait être distancée par les fusions de Penthalaz-
Penthaz ou de Cugy-Morrens).

On nous propose de remplacer des institutions démocratiques par de la bonne
volonté, des ambitions personnelles et le vieux slogan du respect des minorités. En
réalité, la loi sur les fusions a une faille et c’est surtout cela que nous allons
développer dans le «Chapitre 2», car dans le «Chapitre 1», nous n’étions qu’au début
des surprises.

Non, les opposants ne sont pas des passéistes imprégnés de leur esprit de clocher !
On peut penser globalement et agir localement. La transition énergétique, par
exemple, peut être une action locale. Une commune comme La Chaux pourrait être
énergétiquement «indépendante». Elle en a l’espace et les moyens financiers sur le
moyen terme (cela coûtera moins cher que la somme des travaux réalisés depuis
deux décennies).

Non, les Municipalités de ce canton ne manquent pas de candidats ! Aucune
commune n’a été mise sous tutelle pour cause d’abandon par ses citoyens. A La
Chaux — comme ailleurs — plusieurs personnalités sont en réserve et attendent leur
heure.

1. Le point de départ de l’enquête.
Le point de départ de ce «Chapitre 2», c’est l’affirmation de Laurent Curchod, chargé de
mission de l’Etat pour les fusions, à Cossonay le 16 septembre, selon laquelle il n’y aurait
que des fusions heureuses. Selon lui, s’il y avait des fusions malheureuses, cela se saurait
déjà… Vraiment ? Cela méritait une enquête.

Puisque Oscar Cherbuin (ancien syndic de Colombier) est aussi venu nous faire l’article à
Cossonay le 16 septembre, il était logique de savoir comment cette fusion de Colombier
avec Echichens se passait. Puis il fallait élargir à d’autres communes. J’ai choisi
d’enquêter d’abord au Montilliez et à Bourg-en-Lavaux parce que j’y connais pas mal de
monde… Je pensais poursuivre avec d’autres. Mais ce que j’ai entendu était tellement
récurrent que je ne suis pas allé plus loin (cela a aussi permis de ne pas trop allonger les
pages que vous allez lire).

Qui ai-je interrogé ? Ceux des villages minoritaires bien sûr. Pour ne pas biaiser
l’enquête, j’ai choisi de recueillir exclusivement les témoignages de partisans et de
promoteurs de ces fusions (catégorie qui comprend des anciens Syndics et Municipaux).
C’est-à-dire que j’ai écarté les personnes qui avaient été des opposants de toujours. Il
n’aurait pas été juste, du point de vue de la démonstration, de donner la parole aux
«grognons» (c’est comme cela qu’un de mes correspondants appelait les opposants aux
fusions).

Au final, ce n’est de toute façon pas important: les plus ardents promoteurs des fusions
sur lesquelles j’ai enquêté ont en effet tous changé d’avis. Ils se déclarent «déçus»,
«énervés», voire «écoeurés». Un de nos interlocuteurs, qui se dit «très vaudois et très
modéré» craint que son village ne soit «croqué» par le chef-lieu de la nouvelle commune
aux prochaines élections. Tous disent que si l’on votait à nouveau, le «non» l’emporterait
dans leurs anciennes communes. Certains disent s’être trompés et avoir été trompés.
Franchement, je ne m’attendais pas à cela. Je voyais bien que la loi avait une faille mais
je n’avais pas encore pensé l’ampleur de celle-ci.

J’ai convenu avec mes interlocuteurs que je ne divulguerais pas leurs noms. Pourquoi ?
Parce que la vie villageoise est souvent accompagnée de petites chicanes ou de pressions
exercées par les autorités envers leurs opposants. Parfois, cela est même collectif et
annoncé. Ainsi, avant le référendum sur l’augmentation des impôts de Bourg-en-Lavaux,
les habitants de Riex ont entendu que l’entretien de la place de leur village dépendrait
de leur acceptation de cette augmentation (ce qui n’a rien changé car elle a été refusée à
80%).

2. Quid du respect des minorités? Imaginez une Suisse sans Conseil des Etats…
La loi a une faille car elle ne prévoit pas la représentativité des villages. Dans les
nouvelles communes, la loi favorise mécaniquement la majorité, qui est en général celle
de la commune la plus peuplée. Le système majoritaire efface les particularités
géographiques des anciens villages, hameaux ou quartiers. La population y est un tout et
les minorités y sont, par la loi électorale et les fonctionnements de la Municipalité et du
Conseil communal, marginalisées.

Transposons à l’échelle fédérale. Notre Confédération est un subtil équilibre des
pouvoirs où l’on a veillé à faire une place aux minorités. Mais est-ce que cela repose sur
la bonne volonté ? Sur des ambitions personnelles ? Sur le seul slogan politique du
respect des minorités ? Evidemment non: le Conseil des Etats, où les petits cantons sont
représentés au même titre que les gros, contrebalance le Conseil National qui est lui une
assemblée où se constituent, au fil des votes, des majorités. L’équilibre est assuré par
l’institution et pas par de la bonne volonté (même s’il en faut parfois).

Rien de tout cela dans les nouvelles grandes communes. Elles sont et seront comme une
Confédération privée de son Conseil des Etats. La loi n’a rien prévu pour représenter les
minorités (comprenez les anciens villages). Il faut donc appeler à une révision de la loi,
qui devrait prévoir des Conseils de village (successeurs des Conseils généraux des
communes disparues). Au sein de ceux-ci pourraient être élus les Conseillers communaux
de la grande commune et on devrait leur donner un certain pouvoir consultatif ou
décisionnel — question qu’il est trop tôt pour développer ici.

Evidemment, plus la fusion est disproportionnée en matière de population (comme dans
le cas de La Chaux et de Dizy face à Cossonay), plus le problème est grave. Car même en
cas d’alliance des Conseils des villages (s’ils existaient), ils n’arriveraient pas à
contrebalancer la majorité de Cossonay. C’est pour cela qu’il faut imaginer des fusions
bien proportionnées.

3. Les nouveaux centres pompent leur périphérie.
A la «loi majoritaire» s’ajoute la «loi géographique». Qu’est-ce donc qu’une commune?
C’est un territoire (un espace délimité) dans lequel s’exerce un pouvoir, lequel est
alimenté par l’impôt. Or un territoire a toujours un centre et les lieux sont bien plus
concurrents que complémentaires. Le pouvoir a de la peine à se partager et c’est pour
cela que nos institutions le limitent et le contrebalancent car il n’y a pas de démocratie
sans équilibre des pouvoirs. Sans limitations, un centre a toujours tendance à grossir au
détriment de sa périphérie.

Et c’est exactement ce qui est en train de se passer dans les fusions sur lesquelles nous
avons enquêté. Vous lirez, dans les témoignages, le «sentiment d’abandon» de ceux qui
habitent la «périphérie» ou les «satellites» (c’est ainsi que certains de nos interlocuteurs
ont spontanément parlé de leurs villages).

Les cas d’Echichens et du Montilliez sont assez semblables: un gros village et trois petits
«villages périphériques» qui, s’ils pouvaient s’allier — mais aucune institution ne le
prévoit — pourraient contrebalancer la force centrifuge du chef-lieu (Au Montilliez 565
habitants pour la périphérie contre 528 à Poliez-le-Grand / attention : chiffres de l’an
2000 qu’il faut nuancer puisque la population pour les 4 anciennes communes est
passée, entre 2000 et 2010, de 1093 à 1426 ; il est possible que la croissance de Poliez-le-
Grand soit beaucoup plus rapide).

Et à Bourg-en-Lavaux ? Voici un cas inattendu mais qui aboutit au même résultat! Ce
n’est en effet pas l’ancienne commune la plus peuplée, Grandvaux (2300 habitants avant
fusion), qui est le centre de la nouvelle commune de Bourg-en-Lavaux. C’est Cully, moins
peuplée (1850 habitants avant fusion), parce qu’elle était le chef-lieu de l’ancien district
de Lavaux. La recette de l’impôt de Grandvaux a beau être de plus du double de celle de
Cully, là aussi, les habitants de Grandvaux se sentent floués tandis que les projets
semblent se multiplier à Cully.

Ainsi, si les cas sont particuliers, il y a tout de même récurrence de ce que j’appelle ici «la
loi géographique»: les nouveaux centres profitent de l’énergie de leur périphérie, à
commencer de leurs impôts. Autre exemple ? Dans le cas d’Echallens, il se dit que la
fusion — sur laquelle les communes concernées vont voter le 30 novembre 2014 — a
pour but de faire payer les dettes accumulées — quand même 58 à 60 millions — par
cette localité qui a beaucoup grossi, par un plus grand nombre d’habitants. Villages,
passez à la caisse !

4. Le rapport (de force) entre l’Etat et les communes.
Voilà une autre question très intéressante. On sait bien que c’est l’Etat qui a initié le
mouvement de fusion des communes. Pour l’Etat, il sera en effet beaucoup plus facile
d’avoir 150 interlocuteurs que 385 (comme avant le début du mouvement). Plus les
interlocuteurs sont nombreux, plus il faut multiplier les discussions et les opérations
pour convaincre. Plus il y a d’interlocuteurs, plus le risque est grand d’avoir à gérer des
conflits et des oppositions. Pour l’Etat, les fusions sont une simplification bienvenue.
Mais pour les communiers ? Vivront-ils encore dans des communes où la démocratie
directe sera possible ? Faut-il brader nos Conseils généraux et communaux pour être
dans la mode du temps ? Il faut en tout cas bien réfléchir.

Pour excuser par avance cette perte démocratique, certains nous disent que l’essentiel
de nos budgets communaux sont déjà engagés avant même que les impôts soient
récoltés. Certes, on ne va pas les contredire. Mais ils en concluent que les «petites»
communes n’ont plus de pouvoir. C’est tout à fait faux. Il y en a — par exemple à
Dommartin — qui se disent maintenant qu’avec les 10 % qu’ils étaient libres de dépenser
annuellement, ils pourraient aujourd’hui faire des miracles. Pas de chance, avec la fusion,
ils n’ont plus du tout de budget.

Les grandes communes seront-elles même plus fortes ? Nos interlocuteurs en doutent
beaucoup. Ils remarquent que plus peuplées, elles seront plus mises à contribution par
l’Etat. Pourquoi ? Parce qu’il est difficile pour l’Etat de transférer des charges sur des
petites communes, où l’impôt collecté est forcément fractionné. Le mouvement
fusionnel pourrait donc avoir des effets pervers, à l’opposé de ceux que l’on attend. Un
de nos interlocuteurs remarque qu’au fur et à mesure que l’Etat rembourse ses dettes,
celles des (grosses) communes augmentent. Il n’y voit aucun hasard, mais un transfert de
charge délibérément organisé.

5. Sera-t-il plus difficile de trouver des Municipaux pour les grandes communes ?
Voilà que l’on prenait prétexte du soi-disant manque de candidats à l’élection
municipale pour fusionner… Et voilà que pratiquement tous nos interlocuteurs
s’interrogent — ou se lamentent — sur les compétences des Municipaux des communes
fusionnées. Pour eux, il ne fait pas de doute que les compétences exigées, du fait de la
grandeur des communes, en font des oiseaux rares. Ils remarquent qu’il leur est très
difficile de gérer plusieurs chantiers à la fois et que c’est une des raisons du
renforcement des centres au détriment des périphéries (si on a un gros chantier dans le
chef-lieu, il est difficile d’en gérer plusieurs autres dans les villages, faute de temps et de
compétences).

«Maintenant, on se retrouve avec des Municipaux qui font de la politique plus qu’ils ne
dirigent leurs dicastères». «Ils serrent des mains, parlent beaucoup mais sont
impuissants pour diriger leurs services». «Leur tâche essentielle est de faire de la
communication et la direction est de fait laissée à des chefs de services (évidemment
non élus).» C’est l’éternel problème de la place respective des politiques élus et des
administrations qui sont professionnelles. «Les Municipaux n’ont pas le temps et donc,
en conséquence, pas les compétences». En bref, tous parlent de professionnalisation
quand elle n’est pas déjà effectuée, bons salaires à l’appui. Ce qui est sûr, c’est que les
fusions communales ne permettront pas des «économies d’échelle» comme dans les
fusions d’entreprises.

Le pire est que cette évolution communicationnelle de la politique ne résout pas du tout
les problèmes d’écoute. Comme si celui qui avait à délivrer un message n’avait que faire
des signaux maladroitement envoyés par la population. Professionnel de la parole, il est
là pour convaincre, pour briser les obstacles, pour faire avancer une idée, pas pour
écouter. Pire, les objections éparses qu’il entend quand même ça et là lui permettent de
les anticiper dans ses rencontres ultérieures. Loin d’infléchir son discours, elles
l’améliorent et le renforcent. C’est ainsi que la politique devient sourde. Les fusions
entraînent, avec ou sans partis politiques, une «politisation» de la vie communale. Le
problème est de savoir si cela augmente l’efficacité de l’administration et des services
ou, au contraire, si cela aboutit au théorème de Queuille pour qui «Il n’est aucun
problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse
résoudre.» Seul l’avenir le dira puisque nous ne sommes qu’au début du processus.

6. Le slogan creux de la «fusion administrative»

Il est évident qu’il ne faut pas croire qu’une fusion n’est qu’administrative. C’est en
passe de devenir l’ultime slogan, celui qui reste alors que beaucoup sont déjà usés et
n’ont plus cours. Exit les «économies d’échelle», «la nouvelle société», le renforcement
du «service public», les «communes fortes». Voici maintenant, faute de mieux, la
version minimale, la «fusion version light»: «rien ne changera parce que ce n’est qu’une
fusion administrative ; et d’ailleurs, pour preuve, nous sommes déjà tellement
impliqués dans des associations intercommunales (eaux, écoles, etc.) ; la vie
administrative sera fusionnée, le reste continuera comme avant». Dans le meilleur des
cas, les promoteurs de ces «fusions administratives» sont des naïfs. Dans le pire, ils
nous prennent pour des naïfs. Toute «fusion administrative» en cache une autre bien
plus profonde.

Les fusions ont en effet de profondes implications territoriales ; elles redistribuent le
pouvoir et l’argent des impôts ; elles concentrent les services sur les chefs-lieux au
détriment des périphéries. Pour le reste, personne n’est capable de mesurer
sérieusement les effets d’efficacité (ou d’inefficacité) administrative. En revanche, sur la
question des «services à la population» au mieux on ne voit pas la différence, au pire les
gens se sentent abandonnés. C’est ce que nous avons entendu.

Une variante absurde de la «fusion administrative» est représentée par ce que 24
Heures fait dire à Gérard Vallélian, syndic de Saint-Saphorin (Lavaux) après l’échec de la
fusion avec Chexbres: «Les gens ont confondu fusion des communes et fusion des
villages» (24 Heures, 27 octobre 2014, p. 20). Je crois que les gens n’ont rien confondu
du tout. Ils savent très bien que leur village est géographiquement bien délimité et que
cela ne changera pas. Ils craignent en revanche les effets d’une fusion communale bien
plus qu’administrative et surtout mal proportionnée (Rivaz 353 habitants, Saint-Saph.
375, Chexbres 2102). Comme par hasard, les «petits» ont refusé à 69,3% et 55,2% mais
le «gros» Chexbres a «plébiscité l’union à 72,5%».

Et maintenant, après cette synthèse, les témoignages recueillis dans les «périphéries»
des trois communes d’Echichens (à Colombier), de Bourg-en-Lavaux et du Montilliez.
Pour la plupart, ils vous sont livrés sans commentaires.

7. Retour à Colombier-sur-Morges
Le 16 septembre, Oscar Cherbuin nous a dit qu’une association du village dont il a été
syndic, la SACOL, organisait des assemblées qui permettaient la communication avec la
Municipalité d’Echichens. Ce fait avait attiré notre attention parce qu’il montrait qu’il y
avait un problème de représentation des anciens villages (voir Chapitre 1).

Eh bien, c’est pour le moins inexact : s’il y a effectivement eu deux assemblées de village
depuis 3 ans — la dernière le 8 octobre 2014 — la SACOL n’a rien à voir dans cette
organisation. C’est à l’initiative privée de deux de ses habitants qu’elles ont eu lieu.
 Ces assemblées, parce qu’elles ont permis des «discussions constructives», ont
souligné les difficultés de communication avec la Municipalité et le Conseil
communal. Lors de la dernière séance, un Conseiller invité aurait déclaré qu’il avait
«appris plus de choses dans cette assemblée qu’au Conseil communal». En outre, les
villageois n’étaient pas trop au courant de ce qu’il se passait à la tête de la commune.
«Il y a en effet des décalages: les procès-verbaux des séances du Conseil communal
ne sont disponibles sur internet qu’après adoption. Il faut donc attendre la séance
suivante, c’est-à-dire plusieurs mois, pour être informé». «Il n’y a plus de
communication directe, il faut écrire une lettre ; les retours sont expéditifs ; les
entrées en matière difficiles». «L’administration n’arrive pas à suivre. Elle devrait
anticiper, elle a toujours un train de retard».

 Lors de l’assemblée du 8 octobre, une «lettre assez virulente» a été lue par un ancien
membre de la Municipalité de Colombier «mais le débat a ensuite été bien vaudois et
tout à fait poli». «La discussion n’était pas houleuse mais était ‘’confrontante’’ et
instructive car on ne sait rien de ce qu’il se passe à la Municipalité». «La Feuille
d’information communale est bourrée d’indications sur ce que l’on doit faire ou ne
pas faire mais n’informe pas. Les préavis sont de style lapidaire».

 «Nos Conseillers communaux représentant Colombier dans Echichens ne se
réunissent pas. En conséquence, ils n’ont pas le poids nécessaire». «Nos Conseillers
communaux sont moins bien armés dans le Conseil de la nouvelle commune qu’on ne
l’était dans un Conseil général où tout le monde savait de quoi on parlait».
«Aujourd’hui, les décisions dépendent surtout des autres villages».

 «Les deux assemblées de village étaient une initiative privée. Le 8 octobre, la
commune a fait un geste en larguant deux cartons de bouteilles». «Mais elles ont un
statut informel et aucun pouvoir décisionnel.» «Tout le monde est d’accord de
maintenir ce dialogue, mais c’est complètement informel et inofficiel». «On en est au
stade où l’on se demande s’il serait efficace de lancer des pétitions».

 «Pour la prochaine législature, nous n’aurons plus forcément de représentant à la
Municipalité». «Si les gens sont démobilisés, on va se faire croquer par Echichens
[l’ancien village d’Echichens, pas la nouvelle commune qui porte le même nom] ;
j’attends la suite, mais si on ne s’engage pas, on se fera bouffer ; il faut un coup de
rein dans les villages [périphériques] sinon c’est l’enlisement». «On a trois villages de
la même taille. Il faudrait répliquer à Echichens en s’associant» et d’ailleurs, «c’est ce
que craignaient les gens d’Echichens au tout début du processus de fusion».

 «Nos Municipaux sont trop faibles face à l’Etat» «Une grande commune, c’est trop
lourd pour des amateurs».

 «L’Etat pousse à la fusion mais ne s’occupe pas des dysfonctionnements ultérieurs».
«La première législature est mangée par la rédaction de nouveaux règlements pour
remplacer les anciens». «Il y a des choses non écrites mais prévues dans le processus
d’élaboration de la convention de fusion qui n’ont pas reçu d’application et qui sont
maintenant oubliées».

 «Nos chemins ne sont pas entretenus ; nous avons des problèmes de fonctionnement
de notre déchetterie ; la vente de plusieurs de nos anciens bâtiments communaux est
inéluctable pour financer les frais des autres».

 «Ce qui me manque le plus, c’est la démocratie directe du Conseil général; il ne se
fait plus rien car il n’y a plus de forme ; on discute en aparté et il n’y a plus
d’assemblée décisionnelle».

 «On croyait qu’il y aurait des avantages, on constate surtout les inconvénients.» «On
est déçu» ; «on est dépité». «On revoterait non». «On n’a plus l’option de
reconvoquer la base de Colombier».

8. Du côté de Bourg-en-Lavaux…
La fusion du 1er juillet 2011 a réuni les communes de Cully, Grandvaux, Riex, Epesses et
Villette. Elle a été présentée — en toute bonne foi — comme une réunification de la
«commune générale» de Villette (1798-1824), elle-même étant une modernisation de
l’ancienne paroisse de Villette. Dans l’ancien Etat de l’évêque de Lausanne, le processus
de formation des communes n’avait jamais été complètement mené à son terme. Les
villages de Lavaux, de Lutry à Corsier, étaient dirigés par leurs organisations
bourgeoisiales depuis le Moyen Age. Ils étaient des communes à part entière mais n’en
portaient pas le nom. Ils étaient chapeautés par de grandes paroisses mais celles-ci
n’étaient que des coquilles vides. Il n’y a donc pas eu «réunification» mais bien «fusion»,
et pour la première fois depuis que les archives sont conservées (15e siècle) les villages
ont perdu leur autonomie et leur budget.

 «On a l’impression d’être oubliés, on ne voit jamais personne de la Municipalité».
«La commune est dirigée à court terme comme une entreprise et il n’y a pas
d’écoute». «On n’informe pas, on décide et on donne l’information après, comme
par exemple dans la manière dont le marronnier d’Epesses a été abattu». «Il y a peu
de sensibilité et ils ne se rendent pas compte de leur manque de tact». «Un des
slogans pour fusionner était ‘’Proche de la population’’, c’est quand même
malheureux». «La population a de la peine à savoir qui fait quoi». «On a voulu tout
changer, même les choses qui fonctionnaient bien ; on avait des employés
communaux qui connaissaient bien leur village, maintenant on les ballade en divers
endroits». «Il faut intervenir plusieurs fois, on ne sait pas toujours qui joindre ; il
manque un surveillant de village».

 «Les Municipaux n’ont plus vraiment le contrôle de la police, qui fonctionne comme
un corps indépendant. Elle coûte annuellement 1 million 250’000 aux 5 villages».
«Nos Municipaux ne font plus le poids face aux chefs des services, la structure est
trop grande ; ils ne font plus que de la représentation».

 «Il n’y en a que pour Cully, tout se focalise sur Cully. A Noël, ils avaient des cascades
de lumière fabuleuses alors que les anciens villages ont dû se contenter de
décorations standardisées et uniformes». «Même les parterres de fleurs sont
uniformisés».

 «A Riex, le tapis définitif de la route attend. Il est au budget depuis 2 ans. Il y a des
touristes qui sont des habitués et qui ont remarqué l’état de négligence du village ; ils
nous ont demandé ce qu’il se passait». «Cully a au contraire de grands projets : une
nouvelle place de la gare, des logements, une nouvelle caserne de pompiers, qui
accueillera aussi la voirie». «On a l’impression que ce n’est pas équitable».

 «Les employés communaux baissent la tête quand ils passent car il y a beaucoup de
remontrances». «Pour changer une ampoule, on appelle Chaillet SA, je n’ose même
pas imaginer combien cela coûte». «Le déneigement à Grandvaux est négligé par
rapport à avant».

 «On n’a plus d’identité, on fait partie d’une masse, on ne se rencontre plus». «Tu fais
partie d’une seule commune mais pas pour tout». «On n’a jamais pu s’exprimer
négativement dans la Feuille de Bourg-en-Lavaux, comme si la Municipalité avait
peur».

 Comme à Colombier, «le torchon brûle à propos de la déchetterie» (la taxe est la
plus chère de la Suisse romande et les autorités se sont fait sermonner par Monsieur
Prix).

 «Beaucoup des anciens locaux communaux sont encore vides». «La salle de la
Municipalité de Riex a été louée à un architecte, le local du boursier est vide».
 «On aurait dû tout protocoler. Il était entendu que les impôts n’augmenteraient pas,
sauf catastrophe. Nous conseillons à toutes les communes de tout inscrire dans les
conventions de fusions ; il faut être prudent, ne pas y aller à la confiance ou au culot ;
il faut prendre son temps». «La Municipalité a annoncé un déficit de 3,5 millions et a
voulu augmenter les impôts de 4 points.» «Deux des anciens syndics [promoteurs de
la fusion] ont mené la fronde, un référendum à été organisé et l’augmentation a été
refusée par 80% des votants. Finalement, lors du bouclement des comptes, il y a eu
1,5 million de bénéfice et les gens étaient vraiment fâchés par cette mauvaise
évaluation».

 «A Grandvaux, nous avions un bon jumelage avec Peutal (près de Belfort) et des liens
anciens qui remontaient à la guerre ; de fait, il est mort sous le prétexte que la
Municipalité n’a pas le temps».

 «Le journal mensuel de Grandvaux, le ‘’Grandvillien’’, est abandonné. Il marchait
bien et leur nouveau machin coûte 10 fois plus. La Municipalité a fait table rase».

 «C’est à Grandvaux que les gens étaient les plus réticents car ils avaient déjà
l’impression qu’ils allaient se faire ponctionner ; mais on s’est cru obligé ; on a
apporté l’argent et on n’a plus rien». «Même à Epesses, alors qu’ils avaient, du point
de vue financier, tout intérêt à cette fusion, ils sont très déçus car on n’a pas le temps
de s’occuper d’eux.»

 «Beaucoup des plus fervents promoteurs de la fusion, ceux qui se sont beaucoup
investis, sont vraiment déçus et certains sont écoeurés». «C’est une déception mais
c’est trop tard». «On aurait dû faire une fusion plus restreinte ; il est très difficile
d’avoir des Municipaux qui soient à la hauteur d’une commune de 5300 habitants.»
«Il y a des gagnants et des perdants ; les services sont moins efficaces, moins
disponibles et plus chers ; la proximité est perdue.» «On a engagé 5 personnes alors
qu’il était prévu de diminuer le nombre d’employés communaux, ce qui était facile
avec les départs à la retraite prévus».

9. La température au Montilliez
La commune du Montilliez est issue de la fusion de Poliez-le-Grand — commune
démographiquement prépondérante — avec Dommartin, Sugnens et Naz, cette
dernière ancienne commune ayant été une des plus petites du canton.
Déçus et «énervés». Une fois encore les plus chauds partisans de la fusion sont
désormais ceux qui ont le plus de regrets. Dans les trois «villages satellites»,
énormément de gens sont à leurs dires déçus. Certains disent qu’«on aurait dû faire une
fusion à l’essai ou, au moins, progressive». «L’irréversibilité du processus de fusion est
aujourd’hui vécu comme non démocratique». «Il y aurait aujourd’hui une majorité pour
refuser la fusion avec Poliez-le-Grand.» Certains anciens Municipaux disent qu’ils ne
vont même plus au 1er Août de la nouvelle commune tant ils sont «énervés».

La représentation n’est plus institutionnelle et dépend des hommes. Nos informateurs
mettent en avant que «la représentation des ‘’villages périphériques’’ par rapport à
Poliez-le-Grand dépend désormais complètement des qualités des personnes élues
parce que les anciennes institutions communales ont disparu».

«Le problème est d’abord que l’on devrait exiger des nouveaux élus une vraie
disponibilité. Les postes de Municipaux dans les grandes communes ne sont
manifestement pas compatibles avec des emplois à plein temps et encore moins avec
des responsabilités professionnelles importantes.»

Dans cette première législature, «la Municipale qui représentait Dommartin a d’ailleurs
démissionné pour raisons professionnelles». «Une élection complémentaire a eu lieu et
le nouveau représentant de Dommartin, s’il habite bien à Dommartin, a toute sa famille
à Poliez-le-Grand». Certains de nos interlocuteurs de Dommartin estiment donc que «la
majorité a déjà basculé en faveur de Poliez-le-Grand». Pour plusieurs de nos
interlocuteurs, Le problème principal est bien la représentation des villages dans la
nouvelle commune. «Pour le moment, parce qu’on est encore dans la première
législature, on a encore une petite représentativité, mais après? Le plus gros village aura
une majorité de fait. Il nous faudrait vraiment une représentation des villages. Le
système majoritaire devrait être tempéré par un système de représentation des
villages».

«Il ne se fait plus rien». Ils se plaignent ensuite amèrement que plus rien ne se fait
désormais dans les trois «villages périphériques», alors que les projets — pas forcément
utiles à leurs yeux — se multiplient à Poliez-le-Grand. Les anciens bâtiments
communaux des «villages périphériques» ne sont plus entretenus alors que Poliez
investit sur son territoire (nouvelle terrasse à la pinte, revitalisation d’un ruisseau, etc.).
A Dommartin, depuis le début de la législature, seuls 3 m3 de gravier auraient été
fournis ! «Avant, on n’avait peut-être que 10% de notre budget communal pour des
réalisations. On avait le sentiment que cela n’était pas beaucoup parce que 90 % de
notre budget était affecté automatiquement. Mais on se rend compte maintenant que
c’était beaucoup. Maintenant, on n’a plus de budget.»

Les Municipaux dans la nouvelle commune. «Le problème est qu’un Municipal — pour
des problèmes de temps et de compétences — ne peut gérer qu’un chantier à la fois.
Résultat, le centre de la nouvelle commune aspire tout. Les grandes communes
impliquent une professionnalisation qui va forcément coûter très cher».

«L’Etat nous a trompé». «L’Etat a été très présent dans le processus de fusion. Laurent
Curchod — le chargé de mission de l’Etat de Vaud pour les fusions — habitait même
Dommartin à l’époque. C’est un bon orateur, c’est son métier, et le problème est que
l’on a préféré écouter des discours et qu’on n’a pas pu se déterminer sur des actes.
Maintenant, on n’a plus rien à dire, le pouvoir est ailleurs.»
«Mais ensuite, dès que la fusion a été effective, l’Etat nous a laissé seuls alors qu’il y
avait énormément de choses nouvelles à mettre en place et à régler.»
Nos interlocuteurs soulignent l’intérêt de l’Etat pour les fusions: «le problème pour
l’Etat est de gérer une multitude d’oppositions et plus il y a d’interlocuteurs, plus il y en
a.»

«Un des discours récurrents sur les fusions est d’avoir des communes plus peuplées,
donc plus ‘’fortes’’». «Mais c’est un leurre car les communes plus peuplées seront
encore plus ponctionnées par l’Etat». «Les communes plus peuplées ne seront pas plus
fortes, elles seront contraintes de s’endetter ou d’augmenter les impôts.»

«L’Etat ne peut pas grand-chose contre les petites communes pauvres. Contre les
grandes, qui récoltent beaucoup d’impôts, il peut changer la répartition des tâches. Et
c’est ce qu’il fait ! Il n’y a qu’à voir comment l’Etat rembourse ses dettes et comment la
plupart des grosses communes alourdissent les leurs».