« La complexité des problèmes que les communes doivent traiter nécessite un engagement toujours plus important ainsi que des compétences accrues. »
Avant d’aborder les soit-disant bienfaits promis par la professionnalisation des charges publiques, relevons tout d’abord le peu de cas qu’il est fait du travail énorme accomplis par les politiciens de milice, et du bénévolat qu’ils consacrent aux tâches communales.
En même temps que l’on continue de faire appel, de façon soutenue, au bénévolat dans de nombreux secteurs de la société, le pouvoir politique semble maintenant devoir être réservé à une élite de professionnels, excluant ceux qui se présentent encore au portillon. Plutôt que de valoriser cet engagement volontaire en essayant de trouver des solutions pour les épauler, en valorisant mieux leur fonction, en leur accordant de meilleures conditions de formation et en professionnalisant plutôt les tâches de l’administration, par exemple, on les élimine du jeu en souhaitant des politiciens professionnels.
Il s’agit d’un signal fort aux milliers de conseillers bénévoles : vous pouvez rentrer chez vous, les professionnels de la politique s’occupent de tout…
Aux critiques de perte de proximité entre les élus et les citoyen(ne)s dans le cadre des fusions, on oppose la « professionnalisation » souhaitée des futurs élus. Ceux-ci pourront « mieux » s’occuper des affaires communales, comme si le travail ne s’était pas fait correctement jusque là, que la commune n’avait été dirigée que par des « amateurs » incompétents. Pourtant, là où les fusions ont eu lieu, ce sont les mêmes souvent qui se sont présentés et ont pris la relève. Comme ils étaient moins pour les mêmes tâches qu’auparavant, ils ont forcément dû augmenter leur temps de travail. Avec, selon nous, un gros point noir : cette liberté dans la gestion de son activité n’est pas donnée à tous et la volonté constitutionnelle donnée à chaque citoyen de participer aux responsabilités dans une autorité de milice s’étiole. Et la pression à la fusion s’accentue.
Plutôt que de représenter un inconvénient, les nombreux politiciens de milice qui composent nos multiples autorités communales, sont autant de citoyen(ne)s qui prennent part au pouvoir avec un avantage incomparable : connaître chaque route, chaque chemin, chaque commerce, chaque ferme, chaque entreprise, chaque artisan, chaque école, chaque maison… Et lorsque ces diverses réalités sont abordées autour de la table du conseil, alors ces élus savent de quoi ils parlent ! cette connaissance du terrain, aucune structure technocratique ne saurait l’atteindre.
Autre contre-argument au souhait du professionnalisme : ce professionnalisme ne dépend pas de la taille d’une commune mais de l’engagement et du niveau de formation du personnel.
La volonté de « professionnaliser » les tâches de l’administration et des services communaux est également une conséquence de la conception purement économique de la gestion des communautés humaines. La commune doit se gérer comme une entreprise, telle est le concept.
La gestion du personnel se fait sur le modèle entrepreneurial; chaque employé est une pièce de la machine à mettre en place pour garantir la meilleure efficacité du système et s’il ne donne pas satisfaction, il est remplacé et/ou déplacé.
La nouvelle taille de la commune exige de nouvelles compétences que celui qui remplissait parfaitement sa fonction auparavant dans la « petite » commune n’a plus forcément. Et la nécessité de le remplacer par un « professionnel » devient rapidement une conséquence inévitable de la fusion et non pas une conséquence de la « petitesse » de la commune ! Ainsi, souvent à l’augmentation salariale impliquée par la professionnalisation de la fonction s’ajoute la gestion du problème humain du replacement de l’ancien employé, voire le chômage auquel il peut se trouver confronté.
Sans nier le bien fondé d’une rétribution correcte des élus qui investissent du temps dans un travail de gestion publique, il est un fait que la professionnalisation de l’exercice du pouvoir le constitue en une source de revenus. Dans le cas où des hommes et des femmes politiques seraient tentés de faire passer les intérêts de leur carrière avant les intérêts des citoyen(ne)s, on serait en présence d’une instrumentalisation du pouvoir politique.
Avec la professionnalisation on observe encore d’autres phénomènes :
- L’auto-exclusion des profanes en politique ; les profanes étant ceux qui ne sont pas initiés, la société civile devient profane de la politique.
- L’exercice de la politique dans un marché concurrentiel qui au lieu de rassembler, élimine.
Alors, va-t-on alors vers une augmentation forte des rémunérations et la professionnalisation d’élus qui vivent de la politique et pour la politique ? La question sensible des indemnités et du métier joue un rôle essentiel et détermine tout un ensemble de prises de positions et de stratégies.
Autre point, cette volonté de professionnalisation affichée depuis le début de la vague des fusions, qu’a-t-elle montré jusqu’à ce jour – encore une fois le bilan des fusions jusqu’à aujourd’hui scientifiquement mené manque cruellement – ? On le constate, la plupart du temps, les élections consécutives à la création de nouvelles communes portent au pouvoir les mêmes élus, avec leurs mêmes qualités, leurs mêmes défauts, mais pour un travail bien plus conséquent. Quelle sera l’amélioration, la valeur ajoutée comme ils disent, de ce surcroît de travail ? Une pression supplémentaire sur les employés de l’administration…
Et rappelons :
La professionnalisation du personnel politique transpose toujours plus la logique économique (producteur / consommateur) au niveau politique : les électeurs deviennent des consommateurs de politique, les hommes politiques des producteurs de politique.