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Thèreval, Sainte-Mère-Eglise… Dans la Manche, des habitants déplorent être les grands oubliés depuis la fusion de leurs communes. Des réunions ont eu lieu en cet automne 2023.

« Il est temps de prendre la parole pour exprimer notre consternation face à la dégradation et un certain manque de considérations de notre commune depuis cette fusion que l’on nous avait tant vantée comme le remède à tous nos maux. »
D’abord dans une lettre ouverte puis lors d’une rencontre avec Gilles Quinquenel, maire de Thèreval (Manche), en octobre 2023, une trentaine d’habitants ont fait part de leurs « péripéties » depuis la fusion d’Hébécrevon et de La Chapelle-en-Juger en 2016. L’un des signataires Philippe Genest, 68 ans, en a gros sur le cœur :
Je ne fais pas ça par gaieté de cœur. Je suis né à La Chapelle-en-Juger et j’ai l’impression d’être abandonné.
Une impression de « c’était mieux avant »
La lettre de ces Chapelais ressemble à une longue liste de doléances. Il y a le bourg « abandonné à son triste sort, choyé avant la fusion, négligé aujourd’hui avec un cimetière à l’abandon ».
Il y a le bâtiment de la mairie fermé « aux citoyens désireux d’être entendus », les vœux du maire « évaporés dans l’air ». Il y a les deux codes postaux « engendrant une multitude de problèmes, du courrier perdu aux cartes de fidélité de magasins, et renouvellement de carte d’identité ».
Il y a la classe en moins à l’école, le projet de lotissement « relégué aux oubliettes » et le fournisseur de pain « contraint de fermer ». Ces habitants déplorent un « manque de concertation » quand il y a huit ans, lors de la création de Thèreval, qui tire son nom du cours d’eau qui séparait Hébécrevon de La Chapelle-en-Juger, a été décidée. « Nous sommes une commune fictive, un concept aussi absurde que les décisions qui sont menées là », écrivent-ils.
Les projets semblent fleurir à Hébécrevon tandis que notre commune semble être dans un état de mort critique. Nos impôts ont augmenté mais nos perspectives se sont effondrées.
Une réunion « houleuse »
Ils souhaitent que les élus réagissent « pour redonner à La Chapelle la vitalité et la prospérité qu’elle mérite ». Des élus questionnés pendant deux heures lors d’une réunion « houleuse » selon les uns et « tendue » selon les autres.
Le maire Gilles Quinquenel défend son bilan :
900 000 euros ont été investis depuis la fusion et 30 projets mis en œuvre : école, boulangerie, voiries, local pétanque, lotissement Groucy, salle des fêtes, jeux pour enfants, subventions aux associations. Ces investissements n’auraient pas pu être mis en place sans la commune nouvelle.
Concrètement, le maire a entendu les plaintes et il a agi en écrivant au directeur de La Poste pour la mise en place d’un seul code postal et en modifiant le planning d’interventions des agents communaux.
« Tout se déroule à Sainte-Mère-Église »
À Foucarville, depuis la fusion avec Sainte-Mère-Église en 2016, les habitants se sentent complètement oubliés et ils ont, pour la plupart, signé une pétition qui a été remise au maire Alain Holley. Plusieurs adjoints et maires délégués étaient présents dont Alain Legendre, maire délégué de Foucarville à qui l’on reproche son manque de présence dans sa commune. Voilà pourquoi une réunion était organisée vendredi 3 novembre dans la petite mairie qui sent désormais le « renfermé » puisqu’elle ne sert plus à rien, ou presque. Près de 50 habitants sont venus exposer leurs griefs depuis le rattachement à Sainte-Mère-Eglise. Certes, nous oublierons les sujets du style « nous n’avons que deux arrosoirs au cimetière, il en faudrait le double » pour nous intéresser aux sujets « qui fâchent ».
Le nettoyage des haies, ici c’est oui, là, c’est non, pourquoi ? Il a aussi été question du nettoiement des routes, trop peu effectué, mais aussi des événements dont certains n’ont plus lieu à Foucarville. « Dans la commune, nous n’avons plus à fêter le Noël des enfants et celui du repas des aînés, tout se déroule à Sainte-Mère-Eglise », ont déploré les habitants. Ce à quoi Alain Holley répondu : « Noël se fête dans la commune principale et nous sommes élus pour gérer le tout dans l’intérêt général. Le but de la commune, c’est de faire des économies ».
Marina, une gérante d’entreprise, a demandé « des panneaux pour faire ralentir les véhicules afin d’éviter le pire ». Alain Holley expliquait vouloir développer à Foucarville comme ailleurs les feux pédagogiques qui passent au rouge dès que la vitesse est supérieure à la réglementation.
Quant à l’installation de réverbères, une promesse de campagne : « Nous avons interrogé les riverains pour leur faire signer cette demande et pourtant, curieusement, certains font marche arrière et n’en veulent plus », rétorque l’élu.
Foucarville veut vivre et les résidents ne veulent pas se résigner à « subir en totalité les directives imposées » après la fusion des communes.
« Une commune devenue… fictive »
L’élu essaye aussi de comprendre leur sentiment : « Avec du recul, je pense que beaucoup de choses ont changé depuis une dizaine d’années. Les régions sont plus grandes, les intercommunalités aussi. Si on rajoute à cela, les services publics qui disparaissent, je pense qu’il ne faut pas oublier de préserver le lien entre les gens ».
Pour y remédier, Gilles Quinquenel a décidé de tenir lui-même une permanence dans la mairie de La Chapelle-en-Juger chaque vendredi de 17 à 18 heures. Cette grogne des habitants lui a aussi permis d’instaurer une réunion publique annuelle à la salle des fêtes dont la première aura lieu le 19 janvier 2024.
« Travailler en commun »
Entretien avec Charly Varin, président de l’Association des maires de la Manche.
Huit ans après la création des premières communes nouvelles, quels bilans en tirent les élus ?
Avec la logique « ensemble on va plus loin », on peut faire des commandes groupées sur des marchés publics, des économies d’échelle importantes. Pour Percy-en-Normandie, nous avons reçu plus de 90 000 euros de dotations pendant cinq ans. Les habitants ont plus de services. Ils peuvent accéder à la mairie de Percy six jours sur sept alors que celle du Chefresne est ouverte une demi-journée par semaine. Des investissements ont été réalisés que jamais la commune historique n’aurait pu faire notamment sur la voirie, refaite à neuve.
Leur commune nouvelle n’est plus si nouvelle mais des habitants font part aujourd’hui d’un sentiment d’abandon. Comment traduisez-vous ce phénomène ?
Je ne trouve pas qu’il y a un sentiment général d’abandon à l’échelle de la Manche. Il est anecdotique. La fusion n’a pas révolutionné le quotidien des gens. Quand les usagers ont un service public bien assuré, ils s’en fichent de l’entité administrative qu’il y a derrière.
En 2016, la Manche était championne de France des fusions, aujourd’hui la dynamique semble arrêter. Va-t-elle être relancée ?
Elle est stoppée car l’encouragement financier n’existe plus. C’est pourtant l’avenir car les moyens financiers sont de moins en moins présents. Il y a un enjeu énorme dans la Manche qui va perdre des habitants. Sans regroupement, ça va être compliqué pour les écoles par exemple. L’heure est au travail en commun.