S’associer est naturel.
Face à la fragmentation territoriale et en raison de la nécessité d’offrir des prestations à des coûts fiscaux tolérables, les communes ont toujours pratiqué la collaboration selon des formes juridiques et des modalités variées.
Au fil des ans, de nombreuses tâches trop lourdes ou trop complexes à mettre en œuvre pour une commune seule sont avantageusement partagées et les conduisent à s’associer pour les gérer.
D’ailleurs, cette collaboration régionale est fréquente dans les domaines sociaux et de la santé, car elle permet aux populations de plus petites communes de bénéficier de services professionnels (c’est à dire exigeant des matériels et des personnels spécialisés).
Les associations intercommunales permettent d’autre part de réduire les coûts par habitants des prestations proposées à ceux-ci tout en améliorant l’action de celles-ci. Une synergie est ainsi développée et le service à la communauté est ainsi amélioré.
Une autre raison qui plaide pour des collaborations intercommunales est la zone d’influence éventuellement trop limitée pour la construction d’infrastructures nécessaires mais coûteuses (école, hôpital, maisons de retraite). Le regroupement de plusieurs communes permet ainsi de mieux coordonner l’offre et la demande.
Il existe en outre des tâches, par exemple les transports publics où le service proposé par la commune ou par une entreprise mandatée dépasse les limites communales et concerne dès lors d’autres communes appelées à participer au financement. Ces débordements de frontières communales ne concernent pas seulement des fonctions traditionnellement transfrontalières comme l’eau, mais de plus en plus d’autres domaines comme la culture ou les services sociaux.
La collaboration intercommunale permet d’éviter les doubles emplois de certaines prestations, ce qui aide à en abaisser les coûts. Economiquement parlant, les collectivités territoriales peuvent fournir leurs prestations d’autant plus efficacement que bénéficiaires et instances de financement concordent étroitement.
Les diverses collaborations engagées permettent ainsi une flexibilité et une adaptation maximale au territoire concerné par le service.
Les raisons au contraire invoquées en défaveur des collaborations intercommunales sont essentiellement politiques et organisationnelles. On invoque surtout la perte d’autonomie communale et la délégation de prérogatives décisionnelles et le manque de transparence des coûts. Finalement, on leur reproche le fait que des communes aient à supporter les conséquences financières de décisions sur lesquelles elles n’ont plus guère d’influence ou très peu.
La position de la commune dans le système de péréquation financière et la situation des comptes communaux n’ont que peu d’influence sur l’évolution de la collaboration intercommunale.
La différenciation par canton montre que les plus forts développements ont eu lieu dans les cantons d’Obwald, Lucerne, St-Gall, Schwytz, Genève et Appenzell Rhodes-Intérieures, avec des taux de plus de 70%. Les cinq cantons ayant le plus grand nombre de communes (Berne, Vaud, Tessin, Fribourg et Argovie) se situent également tous au-dessus de la moyenne, à l’exception du Tessin. C’est surtout en Suisse romande que la collaboration intercommunale a fortement progressé.
Pour toutes les tâches communales, il existe des exemples de collaboration intercommunale (CIC). Mais cette dernière se pratique le plus couramment dans le domaine des écoles, des prestations médicales, de l’épuration des eaux, de la gestion des déchets et de la protection civile, avec plus de 60% des communes qui accomplissent ces tâches en coopération avec d’autres communes.
La CIC n’est pas encore très fréquente (taux inférieurs à 20%) dans tout ce qui a trait à l’administration générale de la commune (informatique, comptabilité, contrôle des habitants, chancellerie et gestion du personnel), ainsi qu’en matière de police communale et d’assistance aux requérants d’asile. Il est intéressant de voir que, parmi les tâches qui font encore peu l’objet d’une collaboration, un certain nombre posent des problèmes d’exécution aux communes. En effet, des limites de performance sont souvent atteintes ou dépassées précisément en ce qui concerne l’assistance aux requérants d’asile, l’aménagement du territoire et les plans de zones, la police communale et l’administration communale.
Durant ces dernières années, la coopération a augmenté plus qu’en moyenne dans les domaines de l’assistance aux chômeurs, de la protection civile, du service du feu et des soins médicaux. L’aggravation du chômage au début des années 90 et l’explosion des coûts de la santé ont sans doute mis en évidence la nécessité d’une collaboration intercommunale dans ces domaines. Avec le service du feu et la protection civile, les communes inaugurent des secteurs de coopération qui étaient jusqu’ici absents du débat.
Si nous nous sommes assez largement étendus sur les caractéristiques des collaborations intercommunales, c’est bien pour souligner qu’elles recouvrent quasi exactement celles attribuées aux fusions et pour lesquelles on voudrait nous pousser dans cette voie ultime. A ceci près que les collaborations intercommunales ne comportent aucune obligation d’abandon des prérogatives démocratiques des citoyen(ne)s.
Collaborations intercommunales (par ordre décroissant)
· Ecoles
· Soins médicaux
· Epuration des eaux / canalisations
· Gestion des déchets
· Protection civile
· Aide et assistance aux personnes âgées
· Approvisionnement en eau
· Service du feu
· Aide et assistance aux chômeurs
· Assistance sociale
· Transports publics
· Questions concernant la jeunesse
· Infrastructures sportives
· Approvisionnement en énergie
· Assistance aux toxicomanes
· Manifestations culturelles
· Promotion économique
Les secrétaires communaux portent un jugement plutôt favorable sur la collaboration intercommunale et font preuve de peu de scepticisme à ce sujet. Les avantages évoqués sont, entre autres, l’augmentation de l’offre de prestations et l’amélioration de leur qualité. Mais les communes sont également conscientes que la collaboration intercommunale nécessite davantage de concertation avec les communes membres et que les tâches accomplies en collaboration sont moins facilement adaptables à de nouvelles conditions. En outre, une majorité d’entre elles ne croient pas que la collaboration intercommunale puisse alléger le budget communal.
La collaboration intercommunale est évidemment un point d’entrée évident pour l’argumentation pour les fusions.
La multiplication des collaborations intercommunales ne va pas sans inconvénients, et quelques systèmes de décision déjà complexes s’en trouvent alourdit et les citoyen(ne)s pourraient rapidement se voir écartés, si l’on s’en remettait systématiquement à des commissions et des organes purement administratifs.
Les nombreuses collaborations pour accomplir des tâches spécifiques, chacune avec des périmètres différents, enlèvent de la visibilité et de la transparence à l’action communale. Son contrôle démocratique serait aléatoire.
Ces désavantages, les autorités choisissent de les gérer à la hussarde !
Plutôt que de chercher des solutions pour lénifier ces désavantages et protéger cette prérogative des citoyen(ne)s à gérer et à s’impliquer dans les affaires qui les concernent, suite à quelques cas de fusions pertinentes, les autorités cantonales ont tout de suite perçu les avantages qu’elles pourraient tirer d’une systématisation du processus sans tenir compte du glissement de compétence décisionnel que ce changement allait entraîner et de se montrer ambitieuses.
Collaboration ne veut justement pas dire absorption mais plutôt mutualisation de ressources qui diffèrent d’une commune à l’autre. Cela suppose de faire l’inventaire de ces ressources, des convergences et des divergences, des acquis et des lacunes. Cela suppose également de répondre aux questions posées par cet inventaire comparatif.
Pour autant, depuis le boom des fusions, les collaborations intercommunales n’ont plus la cote et comme tous les chiens dont on désire la disparition, on découvre qu’elles « sont frappées de gale » !
Reprenons quelques uns des reproches qui leur sont faits par les tenants des fusions :
Le premier reproche qui est fait aux collaborations c’est que les délégués de l’assemblée intercommunale sont désignés (non élus) par les communes et qu’ils peuvent être révoqués. A cela on peut déjà répondre que c’est le cas de nombreuses fonctions communales, à commencer par le secrétaire/boursier communal et de l’ensemble du personnel communal sans que cela pose le moindre problème à personne, du moment que la fonction est clairement définie et que les compétences sont correctement convenues. Dans la commune, à titre d’exemple, le responsable technique a également un budget qu’il doit gérer dans le cadre des missions qui lui sont confiées, mais c’est l’exécutif communal qui les définit.
Ensuite on reproche à ces collaborations que les membres du comité soient choisis et élus par l’Assemblée Intercommunale. Il n’est venu à personne de contester le fait que le syndic ou le président de la commune soit élu par les autres membres de l’exécutif ou que l’assemblée législative communale élise en son sein et son président et les membres des commissions (dont les membres participants peuvent même être choisis à l’extérieur de cette assemblée – exemple la commission scolaire, là où elle existe encore).
Un autre reproche est que les compétences déléguées soient abandonnées à l’association intercommunale et que les dépenses occasionnées deviennent des charges liées. Une telle critique, qui paraît aussi enfantine que la rengaine « Donner c’est donner, repris c’est voler », suffirait à montrer la contradiction de l’argument. Pour être plus sérieux, on dira qu’il est salutaire que les engagements transférés aux institutions intercommunales soient ensuite scrupuleusement assumés par ceux qui les ont mandatés.
Ensuite, on reproche à ces associations intercommunales leur compétence à prélever des taxes sur les usagers ou les bénéficiaires des services qu’elle propose. Sur ce point, deux réponses peuvent être apportées :
· soit la compétence financière est maintenue au sein de la commune pour en garder la maîtrise car on considère que cela fait partie de la fiscalité, et l’on admet une certaine complexification des flux d’informations pour sa gestion,
· soit on admet que la taxation des services offerts aux usagers fait partie de sa gestion et peut être gérée en interne au sein de l’Association Intercommunale (AIC).
si l’on considère que l’un des problèmes principaux des communes sont les charges liées, l’encaissement de taxes pour les prestations offertes par l’AIC fait partie des moyens de limiter cette charge pour les communes partenaires en favorisant l’autofinancement de son fonctionnement.
Par ailleurs, on s’étonne quelques fois du fait que les déficits doivent être couverts par des contributions des communes et que les charges liées soient par-là augmentées. Le fait que chacun doive payer les dettes occasionnées par ses activités ou demandes de prestation n’échappe à personne et cette implication budgétaire doit être assumée par l’AIC ou par la commune, fusionnée ou non. La fusion ne supprime en rien cette responsabilité.
Finalement, et c’est là le principal grief qu’on fait aux collaborations intercommunales, on leur reproche un déficit démocratique dans la chaîne de décision qui permet aux communes partenaires d’intervenir. Cet argument pourrait s’avérer percutant, mais, comme bien d’autres, il ne résiste pas à une analyse sérieuse et surtout, si un solde déficitaire devait tout de même apparaître, il ne justifie encore pas le hold-up démocratique que la fusion, elle, représente pour les citoyen(ne)s et cela de manière irréversible dans la (quasi) totalité des cas.
Concernant ce déficit démocratique que les collaborations intercommunales seraient censées entraîner, nous voyons qu’il n’en est rien moyennant d’éventuelles retouches statutaires et surtout moyennant une prise en compte réelle de la responsabilité propre des communes partenaires.
Bien au contraire, là où le déficit démocratique est le plus évident et le plus sournois, c’est bien dans les fusions de communes dont la rumeur tourne à l’intoxication par la pensée unique.
Le problème, si problème il y a, est donc plutôt en amont, lors de la définition des attributions et des compétences de l’AIC. Celles-ci doivent être correctement évaluées, éventuellement adaptées, avant l’adhésion. Si cela ne convient pas on peut refuser d’adhérer et faire avec ce qu’on a, ou encore quitter si une adaptation n’est pas possible. Mais on ne peut se défiler devant les engagements qu’on a pris.
De manière plus globale, on peut aussi se demander pourquoi l’Association des Communes du canton ne se penche pas sérieusement sur la question, avec l’aide de juristes si nécessaire, au profit de ses membres, plutôt que de militer contre eux en prônant la solution de la fusion – ce qui est le cas dans le canton de Fribourg notamment -.
Il est intéressant de souligner pour terminer que la collaboration déjà pratiquée jusqu’ici avec des communes voisines n’est que rarement évoquée comme argument en défaveur d’une fusion. Sachant la nécessité de discréditer les collaborations intercommunales pour faire avancer la cause des fusions, il est plus aisé de le comprendre.
Dernier point, les fusions ne suppriment pas la justification – et la nécessité – des collaborations intercommunales. S’il peut être judicieux que deux communes partagent la même école, il en faudrait dix pour un hôpital. La flexibilité des collaborations intercommunales permet cette adaptabilité. Si on n’échappe pas à l’enchevêtrement des territoires fonctionnels et des structures spatiales institutionnelles, on peut remarquer au passage que cette question ne trouve aucune réponse satisfaisante par la fusion, alors que cela en est un des arguments
Encore une fois, si certaines communes se montrent réticentes à se dissoudre dans une fusion, cela ne signifie pas qu’elles rejettent la coopération avec leurs voisines, bien au contraire. Mais pour coopérer, il faut d’abord exister.
Et nul besoin d’épouser son patron pour travailler avec lui (c’est mieux pas !).