décembre 08, 2023

Le livre – Une déferlante politiquement correcte (6)

Les fusions, armes de destructions communales massives

Donc la menace est réelle. Près de 600 communes ont déjà disparu. Peu importe la méthode si l’objectif est atteint. Fusion arrachée grâce à une justice partisane (Belmont-Broye (FR)), projet refusé en votation relancé immédiatement (Entre-deux Lacs (NE)), législations cantonales modifiées pour contrer les oppositions(NE-FR)[1], la « fusionnite », n’est pas prête de se guérir et aux arguments défaits on oppose maintenant de plus en plus ouvertement la force de l’autorité. Ceci dans l’indifférence quasi générale des citoyen(ne)s non directement concernés et la complicité de médias à l’information sélective.

Loin de tarir, les projets de fusion se multiplient avec une volonté politique de plus en plus décomplexée de les imposer là où la résistance est marquée. Ils sont remis sur le métier là où ils ont été refusés en votation.

Alors que les conséquences des fusions déjà réalisées n’ont toujours pas été sérieusement analysées, les parlements cantonaux s’activent et enchaînent les approbations de modifications législatives de plus en plus fermes et volontaristes, sans conscience réelle des enjeux démocratiques, semble-t-il, et, surtout, sans choix aucun pour les communes qui se retrouvent isolées.

La mode est à la compression draconienne du nombre des communes. En Valais, nous l’avons dit, l’objectif du Rapport R21 est de ramener leur nombre à une quarantaine contre un peu plus de 160 actuellement. Nous avons déjà parlé du projet neuchâtelois à 10 communes. Chaque jour, les regards envieux se tournent un peu plus du côté de Glaris et de ses 3 communes… le vote schaffhousois, déjà oublié, laisse la place au prochain canton qui transformera l’essai.

Aucune faveur de leur est concédée, les communes se retrouvent écrasées dans l’étau des fusions. Elles subissent

  • Un étranglement financier par les tâches qui leur sont attribuées sans les ressources qui vont avec
  • Un étranglement administratif par les normes qui leur sont appliquées sans nuance de leur spécificité
  • Un étranglement politique par une réforme institutionnelle maintenant politiquement correcte
  • Un étranglement législatif par un entonnoir auquel aucune ne peut échapper

A tous les échelons, les boulons se resserrent et les idées germent pour en finir avec cette institution « anachronique ». Dans le district de la Veveyse (FR), par exemple, le projet prévoyait même carrément la fusion de toutes les communes du district en une seule, ce qui avait déjà été précédemment le projet dans les Franches-Montagnes. Un district, une commune. Cette idée provocatrice ne paraît pas iconoclaste à tout le monde puisque l’idée a été encore reprise récemment par l’ancien syndic de Matran d’abord, Daniel Blanc, qui proposait un canton de Fribourg à 7 communes (1 par district), puis par le préfet de la Gruyère, qui lui emboîtait le pas en proposant ni plus ni moins une fusion des 25 communes de la Gruyère en une seule. Ce qui a été officialisé par un projet en fin d’année 2015… Et l’on se rappelle le scrutin récent proposé aux Schaffhousois : 1 canton, une commune ou plutôt « plus » de communes. « Supprimons les communes ! » Tel est le slogan et il serait honnête de l’admettre.

Méthode Coué qu’aucun bilan ne vient contredire

A notre connaissance, il n’existe à ce jour aucune étude historique et scientifique d’ensemble portant sur les effets et les conséquences des fusions de communes ni en Suisse romande, ni globalement en Suisse, d’ailleurs. Tout est à faire sous cet angle. Cependant, et j’y reviendrai largement, l’affirmation que, grâce aux fusions, le futur sera meilleur est sans cesse resservie aux nouveaux candidats à l’extension de leur communauté politique. A défaut d’arguments rigoureux et convaincants, la méthode Coué peut servir d’expédient… tant que personne ne réagit !

Voilà donc un sujet éludé systématiquement jusqu’à aujourd’hui : celui du bilan de deux décennies de fusions débridées.

Jusqu’à présent, la totalité des fusions réalisées l’ont été sur la base de promesses. Et si par hasard, on aborde la question du bilan, les réponses prennent appui sur des exemples récents de fusions qui n’ont pas encore épuisé l’enthousiasme généré par la nouveauté et l’argent versé par le canton tutélaire.

C’est l’exemple trop fameux du travail de diplôme de Micheline Guerry-Berchier, secrétaire de l’Association des communes fribourgeoises, « Fusions des communes dans le canton de Fribourg : Bilan de l’exercice du point de vue de leurs actrices, les communes fusionnées ». Rédigé sur la base d’un simple sondage auprès des autorités communales fusionnées, ce document constitue pratiquement la seule référence publique de ce type aujourd’hui encore, alors qu’il n’intègre aucune donnée provenant de la population (des fusionnés !) et aucune analyse scientifiquement (et émotionnellement) corroborée. Récemment, une tentative à peine moins lacunaire a été menée en Suisse allemande par l’Université des sciences appliquées (HTW) de Coire, sous le nom de « Fusion-Check ». Ses conclusions n’ont pas encore changé de langue, mais on peut presque être certain que le bilan est positif et participe déjà à la formation de l’opinion outre-Sarine. Un élément de plus au dossier.

Ce bilan, les gens qui vivent dans des communes fusionnées commencent à le faire et là l’enthousiasme baisse d’un cran.

3 exemples :

Demandez aux gens de Haute-Sorne (JU) à Soulce ou à Undervelier ce qu’ils pensent des promesses faites pour les convaincre de fusionner, eux qui ont décidé en Assemblée Communale d’entamer un processus de défusion. Une première !

Tout récemment, des citoyen(ne)s de la future Crans-Montana (VS) ont lancé une initiative communale dans le même sens : annuler la décision de fusionner ! Du jamais vu, la commune n’est pas encore en place et les bisbilles font rage !

Ou encore, demandez aux populations des 8 communes fribourgeoises fusionnées qui ont dû relever leur taux d’impôt à l’orée de la fameuse année 2013, – l’année record des fusions avec 75 suppressions – après à peine une ou deux législatures, ce qu’ils pensent des baisses d’impôts promises.

« Les promesses rendent les fous joyeux ».

S’il fallait un premier contre-argument aux fusions, il suffit de considérer ce que sont les effets des fusions déjà réalisées. Si celles-ci étaient véritablement la panacée qu’on nous promet, le destin de celles qui s’y sont lancées devrait être florissant, or, au contraire, après une période de transition et d’euphorie qui retient d’abord l’attention des candidats à une propre fusion, il semble bien que les problèmes rencontrés auparavant resurgissent, bien-entendu amplifiés et multipliés par la nouvelle complication (exemples, de tête : Saignelégier (JU), Montagny (FR), Le Mouret (FR), et d’autres). Suite à cela, que la population s’intéresse encore moins au sort de la nouvelle entité, que financièrement la réalité ait tôt fait de rattraper les belles promesses, donne, à ceux qui s’obstinent, un nouvel élan pour dire que la « taille critique » n’était pas atteinte.

Il y a belle lurette que l’analyse des problèmes posés aux communes est assumé terminée et que les alternatives de solutions sont systématiquement ignorées. Toute la problématique de la gestion locale est systématiquement orientée vers l’entonnoir de la fusion.

A considérer les diverses campagnes destinées à faire lentement admettre l’inéluctabilité de la fusion des communes impliquées, la méthode Coué est sans doute la plus utilisée et il faut admettre qu’elle se révèle souvent efficace, ou, pour le moins, déstabilisatrice des convictions les moins fermement établies.

Ainsi, des objectifs de plus en plus prétentieux étant envisagés par des états-majors cantonaux désormais concurrents et désinhibés, ceux-ci optent clairement pour des fusions à grande échelle. Aussitôt, on prête cette intention aux communes elles-mêmes et le débat est court-circuité, le point engrangé. « Les communes seraient lasses des fusionnettes » à en croire le préfet de la Gruyère Patrice Borcard cité par La Gruyère. «Elles veulent aller vers du plus grand, du plus efficace!»

Qui a ce désir, les autorités ou les citoyen(ne)s ? Pour qui, entre l’exécutif communal, l’administration ou la population, la fusion de leur commune avec une ou plusieurs communes voisines est-elle le plus désirable ?

Cette question a été posée à toutes les communes, même à celles qui n’avaient pas de projets concrets dans ce domaine. Les secrétaires communaux, en toute honnêteté, pensent que c’est d’abord une affaire de l’administration qui est plus ouverte à des réformes territoriales. Les communes italophones et francophones présentent ici des taux supérieurs à la moyenne. Ces dernières années, une réceptivité certaine est également attribuée aux autorités exécutives dont certains élus voient peut-être dans ce moment « historique » une occasion de soigner leur ambition. Quant à la population, elle se montrerait plutôt critique. Les avis les plus sceptiques émanent de la Suisse alémanique. Dans les communes de Suisse romande et de Suisse italienne, il semble qu’une courte majorité de  la population soutiendrait encore de telles réformes. Mais le vent y semble quelque peu tourner et, ces derniers mois, quelques échecs retentissants, notamment dans les cantons de Vaud (Asse-et-Boiron, Cossonay, Chavornay) ou de Neuchâtel (Entre-deux-Lacs), montrent une population enfin plus critique et plus interrogative. A vérifier dans les mois à venir ! 

Oubli d’une volonté d’analyse dès le départ?

Dans tous ces projets de fusion, il manque d’abord et premièrement une analyse du fonctionnement de la commune et une simple enquête de satisfaction auprès de la population. Pas une analyse de faisabilité d’une fusion avec adaptations des services communaux, mais une mise à plat des problèmes réels, si tant est qu’il y en ait, et une étude réelle des solutions diverses qui pourraient être applicables. Une telle étude mettrait en évidence d’autres options possibles… qui devraient à leur tour être correctement étudiées.

La première question qui devrait se poser avant toute démarche de rapprochement entre  des communautés locales serait « Y a-t-il un besoin de rapprochement ? », elle-même consécutive à l’analyse d’une situation problématique. Non pas qu’il faille se défier de ses voisins, bien au contraire. Mais le fait que certaines communes qui ont déjà fusionné soient moins enclines à renouveler l’expérience devrait au moins inciter à la plus grande prudence et à éviter toute précipitation due à l’effet de mode.

Certaines communes l’ont bien compris, à l’exemple des communes de la Veveyse dont le plan de fusion du Préfet ne voulait n’en garder qu’une seule, dans une gigantesque fusion. (Un district, une commune, un modèle qui semble tenir la corde de nos jours).

La taille moyenne des communes veveysannes (les deux plus petites approchent les 1’000 habitants), des fusions déjà réalisées, somme toute récentes, l’envie de tenir soi-même les rênes, la conviction que, même avec d’autres, les problèmes resteraient les mêmes, ne sont que quelques-uns des facteurs qui ont incité la majorité des conseillères et conseillers communaux du district de la Veveyse à prôner le statu quo.

On fusionne, on veut fusionner, on pousse les communes à le faire, mais jamais la question des conséquences des fusions ne sont abordées réellement ou analysées exhaustivement, scientifiquement, et humainement aussi :

  • La démocratie n’en est pas vivifiée
  • La concentration et l’urbanisation sont posées comme le modèle sociétal désirable ou du moins comme le seul pouvant apporter les solutions à nos problèmes de société.
  • L’aboutissement de cette tendance se traduit en perte d’autodétermination, en disparition de la proximité, en dilution de l’identité et en suppression progressive des compétences locales.

Alors ?

  • Quelle est la vraie communauté ? La vraie cellule de base de la démocratie ?
  • Où voulons-nous aller en tant que communauté ?
  • Comment inscrire la résilience dans la société du futur ?
  • Comment réaliser la relocalisation nécessaire des activités et, d’abord, que veut dire relocaliser la vie quotidienne ? Et pourquoi ?
  • Comment amener les gens à se « politiser » ? Non pas à « manifester et distribuer des tracts », mais à s’occuper de ce qui les concerne et d’en décider souverainement ? De s’impliquer dans les choix qui sont ensuite faits ?
  • Cela se réalisera-t-il en augmentant la taille des communes ?

Il est donc grand temps de s’interroger sur les conséquences d’une telle réduction sur la vie démocratique de la population et surtout d’en analyser la stratégie et l’argumentation qui permet un tel bouleversement institutionnel sans que cela n’émeuve grand monde jusqu’à aujourd’hui.

 

[1] Dans ces deux cantons, par exemple, la législation a été modifiée pour empêcher que les fusions n’entraînent la perte de l’origine « primaire » des citoyens, ce qui était souvent un argument de rejet des fusions.