Une déferlante politiquement correcte
Les fusions, ailleurs
Hormis les pays aux structures plus récentes comme par exemple les Etats-Unis ou les démocraties de l‘Est, la problématique des fusions de communes a touché la plupart des nations européennes. La fusion est aujourd’hui dans l’air du temps; elle est positivement connotée, du moins en Suisse puisque le mouvement n’est plus d’actualité en Europe occidentale, à part en France, où une nouvelle réforme territoriale visant les communes a été lancée en 2015 par le gouvernement.
En effet, pour des raisons dont nous allons débattre dans ce livre, il est suggéré que les difficultés d’assumer les défis contemporains sont mieux assumées par des entités ayant la « taille critique » que par celle qui sont plus petites.
Certains pays ont connu des concentrations importantes durant la seconde partie du siècle passé. La Belgique, les Pays-Bas et certains pays scandinaves ont plutôt opté pour des réformes structurelles qui ont été conduites dans les années 60 et 70. La Norvège, par exemple, comptait 744 communes en 1952 et encore 439 en 1992. La Suède a réduit l’effectif de ses communes de 2’281 à 286 entre 1961 et 1992.
Dans d’autres pays (surtout méditerranéens), il n’y eut par contre pas de réformes structurelles, ainsi en France, au Portugal ou en Suisse. En France notamment, les résistances politiques aux modifications territoriales ont été considérables. Et malgré la loi Marcelin, qui en 1971 faisait écho aux voix qui s’élevaient pour réclamer une diminution autoritaire du nombre de communes, la France a conservé jusqu’à aujourd’hui le tissu communal le plus dense d’Europe. En moyenne, une commune française compte environ 1’800 habitants contre 5’500 pour l’Union européenne et 55’000 au Danemark.
Les 30 glorieuses ou les réformes dans le contexte de la guerre
Fusion des communes en Allemagne.
En trente ans, l’Allemagne réunifiée passe de plus de 30’000 à 12’196 communes pour 82 millions d’habitants.
Les communes existaient avant la création d’un État allemand et se caractérisaient déjà par une grande autonomie issue du Code prussien des gouvernements locaux de 1808, reconduit dans la Constitution de 1949. En Allemagne, la grande réforme des collectivités territoriales a eu lieu dans les années 1970 pour les anciens Länder de la RFA. À chaque fois, les fusions de collectivités territoriales ont été effectuées de manière autoritaire, sans l’assentiment nécessaire des communes concernées.
Ainsi, en RFA, on passe de 25’000 à 8’500 communes si bien qu’au moment de la réunification, la RDA, trois fois plus petite et quatre fois moins peuplée, comptait presque autant de communes que sa voisine. Le mouvement de réformes a été poursuivi jusqu’à aujourd’hui et, il est important de souligner que les réformes territoriales varient selon les Länder. L’exemple de réforme territoriale la plus poussée est la réforme Teufel, en Bade-Wurtemberg, qui consiste à fusionner les administrations, en confiant aux agents des communes la gestion des fonctions administratives du Land dès que cela est possible. En résultent d’importantes économies notamment en termes de personnel. Ainsi l’ex-RDA a réduit le nombre de ses communes de 35%, portant l’Allemagne a un total de 12.196 communes pour 82 millions d’habitants.
Aujourd’hui, plus de 75% de ces 12.196 communes allemandes comptent moins de 5’000 habitants pour une population moyenne de 6’690 habitants.
Fusion des communes en Suède.
À son maximum, la Suède comptait 2’532 communes dont la fusion, achevée en 1974, aboutit à 290 communes pour 9,5 millions d’habitants.
En 1930, on comptait en Suède 2’532 communes et déjà, les décideurs politiques s’interrogeaient sur la fusion des communes rurales. C’est ainsi qu’en 1943 une commission propose de réduire drastiquement le nombre de communes en Suède, notamment en fusionnant de force les 500 communes qui comptaient moins de 500 habitants, ce qui fut effectif en 1952 : les fusions obligatoires des petites communes rurales réduisirent le nombre de communes en Suède à 816 communes.
Une nouvelle commission estima ensuite que la prochaine réforme territoriale devrait se pencher sur la création de grandes communes rurales/urbaines et, en 1962, le Parlement décida que la prochaine réforme territoriale se ferait sur la base du volontariat, mais, dès 1964, des « blocs communaux » furent tracés avec comme objectif à terme, la fusion. La loi limita le nombre minimum d’habitants d’une commune à 5’000.
Quelques années plus tard, le Parlement trouvant que le rythme des fusions était trop lent, accélère la procédure et en 1971 on ne compte déjà plus que 464 communes en Suède.
C’est en 1974, alors qu’on compte 278 communes, que des cas de « divorce » stabilisent le nombre de communes en Suède provisoirement à 290.
Fusion des communes en Belgique.
Une réforme trentenaire pour la Belgique qui passe de 2’739 à 589 communes, pour 11,1 millions d’habitants.
Les communes préexistaient à l’État belge, fondé en 1831. Dès leur origine, le concept d' »autonomie communale » s’imposait : les élus disposent d’une large autonomie dans le cadre des compétences qu’ils exercent sous la tutelle des autorités supérieures, à savoir la région.
C’est un siècle plus tard que le Centre d’étude pour la réforme de l’État recommande la fusion obligatoire pour les communes de moins de 500 habitants et la fusion facultative pour les communes comptant entre 500 et 1’000 habitants, avec une entité voisine. Pour cela un outil efficace simplifie la fusion des collectivités territoriales, la Loi Unique de 1961. Par cette loi, le pouvoir exécutif reçoit la compétence de supprimer des communes pendant une période de dix ans. Ainsi, entre 1961 et 1971, le nombre de communes passa de 2’663 à 2’359.
Un nouveau texte législatif, la loi du 23 juillet 1971, permet ensuite d’étendre la réforme aux grandes agglomérations. La loi prévoit également des incitations financières et des garanties pour le personnel communal des communes fusionnées. La fusion, sur la base de cette loi, devait s’effectuer de façon volontaire par les communes.
En 1972, un plan de fusions des communes (le plan Cossard) est rendu public, malgré les protestations des élus locaux, et parallèlement le Gouvernement déclare avoir « la ferme résolution de procéder au maximum de fusions de communes avant les élections communales de 1976. Ces fusions devront se faire suivant des plans d’ensemble ».
Pour l’explication, le rapporteur à la Chambre indique qu’en raison de l’évolution technique, les plus petites communes se trouvent impuissantes face aux besoins en divers équipements d’utilité publique et que des économies d’échelle étaient souhaitables, afin d’offrir de meilleurs services à la population.
Finalement, l’arrêté royal du 17 septembre 1975, ratifié par la loi du 30 décembre 1975, concrétise la réforme avec comme date d’entrée en vigueur le 1er janvier 1977 et avec les fusions autour de la ville d’Anvers en 1983, le processus porte le nombre de communes belges à 589.
A noter qu’aucune fusion ne touche les 19 communes bruxelloises, faute d’accord. Les négociations se poursuivaient en 2013…
C’est de Belgique que proviennent les principales critiques de la part des premiers (?) opposants aux fusions. 30 ans plus tard, les opposants aux fusions présentent trois critiques principales :
- Ils déplorent un coup de force de la part de la majorité de l’époque (droite).
- Une complexification et une professionnalisation de la vie politique communale, avec le renforcement du rôle des partis, qui a provoqué une certaine distance entre les élus locaux et les citoyen(ne)s.
- Les fusions n’ont pas engendré les économies attendues notamment sur le plan de la gestion du personnel qui n’a pas mis fin aux doublons et dont la professionnalisation a fait exploser les coûts.
Nous avons reçu récemment un courrier fort intéressant d’un de nos lecteurs internautes belge.
Son constat à propos des fusions communales en Belgique prouve, encore une fois, que ce phénomène confiscatoire du point de vue démocratique a les mêmes conséquences, où qu’il soit appliqué.
Bonjour,
En 1976, l’état belge impose la fusion de communes pour ramener le nombre de communes de plus de 2500 à moins de 600.
Durant la première législature, les promesses faites à l’époque dans les conventions de fusion, ont été tenues dans la grande majorité des cas. De ce fait, après 6 ans de fusion, la population n’était ni enthousiaste, ni déçue.
La détérioration de l’ambiance communale s’est faite petit à petit, par rabotages successifs. 38 ans plus tard on peut dresser le bilan suivant:
-
- La commune principale est la grande gagnante d’une fusion.
- L’éloignement du centre de décision fait que le citoyen ne se sent plus concerné sauf pour réclamer. Il peut le faire par des pétitions ou en contactant son représentant dans l’ancienne commune, s’il y en a encore un, alors qu’auparavant il donnait un ou deux coups de fil et rencontrait un représentant de l’exécutif.
- A la première rigueur budgétaire, tous les services de proximité sont supprimés et centralisés dans la commune principale.
- Ce qui est important pour la commune fusionnée n’intéresse pas nécessairement l’ancienne commune, ses citoyen(ne)s ont l’impression de s’être fait avoir. Les priorités ont changé.
- L’apparition de partis politiques là où il n’y en avait pas, désoriente une partie des citoyen(ne)s par des décisions plus idéologiques que de bon sens.
- Les sociétés locales ont tendance à disparaître ou à fusionner en perdant la personnalité de l’ancienne commune.
- Loin de faire des économies d’échelle, la nouvelle commune a coûté beaucoup plus cher, procédure plus lourde, ambiance « mauvais fonctionnaire », etc..
En bref, […] je ne connais pas de Belge qui la recommencerait
En Suisse personne ne se rend compte que cette détérioration est lente et définitive, il aura fallu presque 40 ans en Belgique pour tirer un bilan aussi catastrophique et vous vous engagez sur la même voie.
Pour contrer cela, il faut assouplir les procédures et la gestion des collaborations communales qui ont un vrai avenir, ce sont des mariages avec divorces possibles.
Enfin, il faut stimuler dès l’école les jeunes à envisager à l’âge adulte, un engagement politique à l’échelle communale.
Sans ces deux dernières conditions les fusions passeront faute de combattants.
Merci pour votre lecture.
Les premiers effets des concepts de « nouvelle gestion publique »
Redécoupage administratif au Royaume-Uni.
405 communes pour 63 millions d’habitants.
Depuis les années 1970, le Royaume-Uni n’a cessé de chercher à rationaliser (et par là, à diminuer) son découpage administratif alors que sa population est en augmentation constante. On estime qu’en 2050, le Royaume-Uni aura rejoint la population de l’Allemagne avec plus de 80 millions d’habitants.
Comme beaucoup d’États européens, le Royaume-Uni a vu au cours de son Histoire le nombre de ses collectivités locales augmenter, mais le pays s’est lancé avec peine dans les années 1970, puis résolument entre 2000 et 2011, dans un vaste redécoupage administratif, sans s’embarrasser des frontières historiques légales. La réforme administrative de 2011 a officiellement abrogé le découpage historique du pays, supprimé les régions et les comtés (counties) de la hiérarchie administrative pour renforcer le découpage préexistant entre zone métropolitaine, non métropolitaine et londonienne.
Le regroupement de communes, une pratique très courante aux Pays-Bas.
Aux Pays-Bas, on compte 431 communes pour 16,7 millions d’habitants et chaque 1er janvier voit l’officialisation de nouvelles fusions.
Aux Pays-Bas, la décentralisation introduite dans les années 1980 s’est accompagnée d’une forte incitation au regroupement des communes. Les fusions devant permettre aux communes de répondre aux compétences grandissantes qui leur sont confiées.
La loi fixe la population minimale par commune :
- Dans les années 1970, une commune devait comporter 5’000 habitants au minimum.
- Depuis les années 1990, une commune doit comporter 25’000 habitants au minimum.
En 2010, on comptait en moyenne, 38’620 habitants par commune aux Pays-Bas alors que la France et ses 36’700 communes a une moyenne de 1’770 habitants par commune.
La fusion des communes en Finlande.
Malgré une réduction du nombre de communes de 416 en 2005 à 326 en 2010 (pour 5,4 millions d’habitants), la Finlande est toujours aussi fortement critiquée par l’OCDE sur l’efficacité de ses communes dont la population médiane n’est toujours que de 6’000 habitants environ « ce qui est faible au regard des nombreuses responsabilités qui leur sont dévolues, notamment en matière de santé et d’éducation. En outre, les fusions n’ont pas encore généré de gains de productivité substantiels, ce qui peut s’expliquer en partie par le fait que les communes concernées conviennent en général de ne pas ajuster leurs effectifs après une fusion».
En Finlande, la fusion des communes se poursuit et se fait en parallèle à la suppression des intercommunalités, très contestées puisque gérées par des dirigeants non élus du peuple, ce qui “pose un problème du point de vue démocratique“.
- Pour 2013, le gouvernement a annoncé une réforme complète à l’échelle nationale visant à restructurer les communes et les services « qui s’appuient sur des communes dotées de ressources économiques solides, des améliorations stimulantes dans les structures administratives, des gains de productivité et d’efficacité ».
- En parallèle de la fusion des communes, les compétences des régions vont s’accroître notamment en matière de services sociaux et de santé, de recherche et développement, de politique environnementale et d’infrastructures de transport et de communications.
L’attachement aux communes des pays méditerranéens
Du côté des pays latins comme l’Italie et l’Espagne, ils n’ont pas procédé à une réforme communale
- On compte en Italie : 8’101 communes pour 61 millions d’habitants.
- On compte en Espagne : 8’109 communes pour 47 millions d’habitants.
Les nouvelles réformes territoriales françaises
Alors que la majorité des maires se dresse toujours contre une fusion des communes, en France aussi la pression se fait plus en plus forte sur les communautés locales, surtout celles de moins de 5’000 habitants, pour qu’elles choisissent enfin la « voie de la raison ». Sous la houlette du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, une nouvelle réforme territoriale a été engagée qui vise une suppression massive des municipalités existantes.
La France avec ses 36’769 communes, soit 40% de toutes les communes de l’Union européenne, est souvent considérée comme une « anomalie » dans le paysage européen. Un record régulièrement déploré par l’OCDE qui invite le pays à « simplifier la structure des administrations infranationales, notamment en fusionnant les plus petites des 36’700 communes et en supprimant les départements » prétendant qu’ainsi « on engendrerait des économies d’échelle substantielles», ajoutant elle aussi une pression supplémentaire sur l’existence de ces communautés locales.
La Suisse n’est pas restée en marge de ce mouvement.