décembre 11, 2023

Le Livre – Les outils d’une machine anti-démocratique (2)

Canevas de campagne

S’il est une chose qui soit strictement respectée depuis le début de la vague des fusions de communes, c’est l’agenda d’un processus. Plus il est serré, plus il est efficace et quelques ficelles permettront d’empaqueter le tout.

Voici un exemple de canevas de projet de fusion :

  • Rencontre des syndics ou des présidents de communes. C’est le temps de l’entrée dans « l’inéluctable ».
  • (Consultation des citoyen(ne)s ou des législatifs sur le lancement ou non de l’étude). C’est l’éventuel temps de la dernière hésitation.
  • Annonce du lancement d’une étude de fusion avec la promesse d’une information à la population en temps utile. C’est le temps de la remise à plus tard.
  • Formation de groupes de travail, la plupart du temps au sein des exécutifs eux-mêmes. C’est le temps de l’étude par les gens compétents.
  • Tenue d’une séance d’information commune révélant le nom et les armoiries de la future commune, expliquant surtout l’organisation, l’articulation des étapes, et l’ouverture prochaine d’un site internet. C’est le temps du show et des applaudissements.
  • Eventuellement une séance décentralisée dans chaque commune concernée, pour « prendre la température » et donner une description plus détaillée de ce que sera la future commune. C’est le temps des promesses.
  • Deuxième séance commune pour la lecture in extenso de la convention de fusion, quelques jours avant les vacances d’été. C’est le temps de l’empaquetage.
  • Une votation avec une distribution du matériel de vote un mois avant, dernier court-circuit à la campagne d’argumentation qui pourrait se mettre en place. Commence le temps des regrets…

Les partenaires

Aux « stimulants financiers » s’ajoutent bien entendu, une fois le projet lancé, le coaching du projet par des « spécialistes », soit préposés externes, soit services du gouvernement, chargés de soutenir les autorités volontaires et la gestion de la communication avec la population et les médias, ou encore par d’autres spécialistes en charge des relations publiques et dûment mandatés pour garantir l’acceptance du projet. Ce sont eux qui jouent un rôle réellement actif dans le processus de fusion en proposant des canevas de mise en place et les outils d’analyses qui au final serviront d’appui pour toute la stratégie locale de conviction des citoyen(ne)s.

Il peut paraître incongru de placer les partenaires requis pour l’étude et la  mise en place des fusions de commune dans un chapitre exposant les moyens anti-démocratiques d’une véritable machine à convaincre. Ceux-ci, en effet, sont libres de défendre leur point de vue. La portée significative qu’on pourrait imputer à leur implication dans le processus de fusion – pour peu qu’on adopte nos conclusions – vient de la position quasiment dirigeante que leur attribue leur état de consultant.

 

Les outils à disposition des communes

Même si la grande majorité des études publiées sur les fusions de communes sont issus  de, et s’adressent prioritairement aux intellectuels et aux services cantonaux des communes, celles-ci ont été transcrites en une foule d’outils à disposition des communes candidates, si bien que chaque COPIL (Comité de pilotage) dispose aujourd’hui de chablons pour toutes les étapes d’un projet de fusion.

Bien entendu, un argumentaire standard circule depuis des années parmi les acteurs de cette fusionnite, de sorte que chacune des thèses fait maintenant partie d’une litanie de poncifs, toujours la même, que nous allons détricoter dans un chapitre suivant.

Neutralité discutable des moyens en oeuvre

L’obsession de faire aboutir absolument les fusions de communes est confortée, voire justifiée, par de multiples études stratégiques et de communication. Dans ces prospections, les arguments contre les fusions sont systématiquement minimisés ou dévalorisés ; ce qui est mis en avant ce sont invariablement les avantages économiques et financiers (alors que personne n’est capable de prédire la situation conjoncturelle à l’horizon de quelques mois, et encore…).

La méthodologie de travail et les supports de travail sont également des aspects centraux de la démarche. Censés permettre d’organiser et de structurer les débats, de simplifier la réflexion et de fournir les informations nécessaires, ils sont surtout des outils qui se révèlent très efficaces pour orienter l’approche de la fusion pour en démontrer le caractère « inéluctable », intelligemment mesuré et quasi-scientifique. Ils permettent de définir les objectifs des groupes et l’architecture de ce qui sera produit, notamment en terme de livrables. Ils constituent des outils de travail standardisés et puissants de la mise en œuvre de la stratégie d’acceptation commençant par les personnes politiquement influentes, les membres des autorités locales. Extrait :

  • Management de projets, gestion du changement
    • Le premier pas consiste en la cartographie de l’ancien et du nouveau monde, ainsi que la représentation graphique du chemin de l’un à l’autre. A cet effet, la définition d’objectifs précis et mesurables est essentielle
    • Ensuite il convient d’attirer les bonnes personnes dans le bateau, les soutiens de poids et de retourner rapidement les premières résistances en consentements.
    • Dans le pas suivant, les conséquences des résistances doivent être clarifiées et les compétences renforcées pour réduire les incertitudes au minimum. A ce stade, l’introduction d’un coach fait paraît-il des merveilles pour la cohésion et la motivation des groupes et des individus impliqués.
    • Dans le dernier pas, la recherche d’un supplément d’énergie peut être atteint par l’organisation d’une fête, d’un voyage, etc. Tout ce qui peut participer à faire grandir la culture du projet est utile.
  • La communication

Etc..

Les groupes de travail

Il n’aura ainsi pas échappé non plus à l’observateur assidu, que les groupes de travail, dans la phase précédant la votation sur les projets, ne sont quasiment jamais ouverts à la participation de la population, que ceux-ci sont composés quasi exclusivement de membres des autorités en place, accompagnés de quelques « experts » ou de consultants externes provenant de l’Etat et, plus souvent, d’entreprises spécialisées (BDO, Compas, Serec etc.).

Et l’intégration de la population ?

Si la communication était régulière et de qualité, si les habitants étaient régulièrement consultés ou mieux intégrés à la réflexion autour de la problématique soulevée par la fusion, peut-être pourraient-ils petit à petit s’approprier le projet s’il est justifié et lui donner l’orientation qui ferait l’unanimité. Mais ce pas indispensable à tout exercice démocratique est systématiquement évité.

Un processus aussi fondamental qu’une fusion nécessite pour le moins la participation active d’une majorité des groupes d’intérêts de la société civile. Il est nécessaire d’impliquer les associations, les partis et de susciter chez les citoyen(ne)s un débat actif sur les enjeux. Or, un élément de dialogue aussi simple qu’un véritable forum de discussion sur le site de la fusion, ouvert à toutes les opinions, sans censure, voire une simple adresse de courriel[1]  manque même quelques fois, démontrant le peu d’attention porté à l’avis des citoyen(ne)s.

La transparence la plus totale devrait aussi présider à tout questionnement pour mettre en lumière autant les aspects négatifs que les aspects positifs. C’est sans doute le plus difficile dans une démarche suscitée « d’en haut ». Et c’est là le point le plus délicat, c’est au plus bas échelon démocratique que doit se déterminer le bien-fondé du démarrage d’un processus qui traite de l’existence même de la commune autonome. Pour cela une réelle participation de la population est indispensable. Le fait que la procédure ne prévoie  aucune intégration obligatoire de celle-ci, même partielle, au processus de préparation de la convention de fusion,  la disqualifie pratiquement d’entrée comme processus démocratique. Et qu’on ne vienne pas dire que sa prise en charge par l’exécutif suffit à la valider.

Pour les citoyen(ne)s, reste donc le vote… Voyons comment il est préparé.

L’information de la population : « Communication » plutôt qu’information

« La communication est un aspect transversal au processus de fusion, indispensable à la réussite du projet. Porté par les autorités communales, le projet de fusion devra être approuvé par les citoyen(ne)s des communes concernées. Quels que soient les avis défendus par l’exécutif ou le législatif et quel que soit le nombre de communes prenant part au processus de fusion, si la majorité des votants d’une seule des communes n’est pas favorable à la fusion, c’est l’ensemble du projet qui échoue. Or, les raisons qui définissent les choix de vote se basent rarement sur des aspects de gestion administrative, sur un éventuel déficit démocratique au sein des collaborations intercommunales ou encore sur la représentativité de la commune lors de négociations. La population sera davantage attachée au projet sociétal proposé (vision), à des notions identitaires et d’appartenance, à la proximité des services communaux ou encore à des aspects d’ordre financier, comme le coefficient fiscal proposé pour la nouvelle commune. Les groupes de travail, relayés par les chargés de communication, devront s’assurer de traiter ces aspects et de les communiquer de manière adéquate et en temps voulu. Parce qu’une fusion touche des sensibilités différentes au sein de la population, la communication doit débuter avec le processus de fusion, afin que la population puisse entièrement se l’approprier. » [2]

Ainsi, on retrouve dans le Guide pour les fusions de communes du Canton de Vaud[3] quelques recommandations que ceux qui ont déjà vécu une fusion sauront reconnaître :

Pour informer sur le déroulement du projet:

    • Lettre tous ménages précisant les motivations et les grandes étapes
    • Journal mensuel faisant état de l’avancement du projet
    • Planning affiché au pilier public
    • Communication des municipalités lors des assemblées des conseils généraux et communaux
    • Etc.

Pour fédérer les populations:

    • Concours (choix du nom, choix des armoiries, idées de projets communs,….)
    • Jeux de rôle, simulation (imaginer si nous habitions ensemble ?)
    • Recherche bibliographique ou publication de textes sur l’histoire, la géographie, la vie quotidienne de la région
    • Liste des activités culturelles et sociales déjà en commun (fanfare, gym, théâtre,…)
    • Fêtes communes, soirées apréritif-débat

Par contre, la plupart des responsables de projets de fusions semblent curieusement oublieux des recommandations suivantes qui feraient de la place pour un début de dialogue sans doute plus nuancé. Est-ce parce qu’elles contrecarrent les premières ?

Pour permettre le dialogue :

    • Conférences- discussions
    • Débats contradictoires
    • Tribune libre dans le journal régional
    • Etc.

Pour faire participer à la réflexion :

    • Ouvrir la participation aux groupes de travail à des citoyen(ne)s non élus mais intéressés par les problématiques
    • Publier les débats et propositions de chaque groupe de travail
    • Etc.

Contrairement à ce qui pourrait être fait dans un véritable processus démocratique, plutôt que de construire un projet avec la population suite à une étude participative et réfléchie, la quasi-totalité des projets ne sont qu’un vaste étalage de promesses destinées à faire accepter la fusion lors d’un vote généralement unique qui décidera du « go » ou « no go ».

Ainsi les exemples ne manquent pas où la campagne ressemble plus à une vaste rétention d’information, où le détail des éléments qui permettent à la population de se déterminer de manière objective doit être sous-tiré de ce qu’on appelle communément le « comité de pilotage » et qui n’est généralement qu’un avatar des autorités en place.

La partie la plus communément diffusée de l’information se limite souvent à un échéancier des étapes restantes – sans mentionner qui sera consulté, ni comment – jusqu’au vote de la Convention de fusion dont l’adoption est déjà célébrée avant d’être réellement expliquée.

Appliquer la collégialité au personnel communal…

La stratégie de communication ne se limite pas à la mise en forme convaincante des éléments favorables à la fusion, mais les vecteurs de la communication acquièrent une importance particulière. Un impact important sur la population est la démonstration de la conviction bien établie de « l’équipe » communale au grand complet.

La collégialité demandée à un exécutif joue un rôle non négligeable dans la promotion d’une fusion parmi la population. S’il s’élève des positions contradictoires parmi les conseillers, ceux-ci peuvent être des pierres d’achoppement conduisant à l’échec du processus.

Je me souviens d’avoir été contacté par des membres d’exécutifs communaux opposés à la fusion de leur commune qui n’avaient pas le droit de s’exprimer ouvertement alors que leur population était très partagée et demandait des suppléments d’information sur des points sensibles. J’ai fait bon usage de leurs constatations dans ce livre.

J’ai aussi l’exemple de conseillers s’étant exprimés publiquement contre les fusions après la fusion de leur propre commune au vu des conséquences négatives qu’elle avait visiblement entraînées et qui « se sont fait remonter les bretelles». Depuis, ils n’ont pas osé renouveler leur prise de position.

Ainsi, dans la communication, outre le fait de montrer des autorités « collégiales » autour de la promotion de la fusion, un élément de conviction standard est d’impliquer le personnel communal dans le travail de persuasion de la population.

« La communication ne concerne cependant pas que les relations externes. En effet, la communication interne, avec l’ensemble du personnel de la commune, est tout aussi importante. Les avis et prises de position du personnel communal sur la fusion sont des facteurs à prendre en considération. Parce qu’ils sont le relais et le support des autorités politiques d’une collectivité auprès de la population, mais également parce qu’ils seront directement affectés par la fusion, ces femmes et ces hommes devront avoir l’assurance du maintien de leur emploi dans la nouvelle commune et être correctement informés de l’avancée du processus. Leur soutien et leur pleine collaboration sont indispensables au bon déroulement du projet. »[4]

Le dernier facteur, mais pas le moindre peut-être, réside ensuite dans l’utilisation du réseau tissé naturellement au sein de la population par les employés communaux, premiers liens de proximité entre les autorités et les citoyen(ne)s. Leur potentiel de conviction et leur engagement sont systématiquement sollicités pour renforcer le projet par l’attrait de la nouveauté et la promesse de meilleures conditions de travail, notamment pour ceux qui sauront se profiler.

Enfin, pour rendre le processus de fusion sympathique et convivial – pour ne pas dire « fun » – des verrées, des randonnées « pro-fusion », etc. complètent l’arsenal marketing qui tient lieu d’information de la population.

 

Le combat linguistique

 

Qui n’a jamais entendu parler des « éléments de langage » ?

« Souvent élaborés par ou avec l’aide de conseillers en communication, les éléments de langage présentent l’avantage d’assurer une cohérence entre les différents discours qui émanent d’un même mouvement, au-delà de son porte-parole officiel. En outre, ils permettent une répétition qui augmente l’efficacité des arguments soutenus par effet de simple exposition. Ils peuvent en revanche être repérés comme des constructions purement tactiques ou sembler participer d’une forme de langue de bois lénifiante »[5].

Dans le domaine des éléments de langage qu’on retrouve presque toujours quand on parle de fusions, ou du moins dans la bouche de leurs promoteurs, ce sont des termes comme « inéluctable », (que nous utilisons aussi jusqu’à l’excès pour d’autres raisons !), qui prêtent à penser que toute résistance est vaine, que la messe est dite, voire même que ce qui arrive est de la faute des citoyen(ne)s et que ce qui arrive, ce qu’on nous propose est ce qu’il y a de mieux pour notre bien-être, vu les circonstances et, donc, qu’il est de bon ton de positiver et de s’afficher pour la fusion.

Un aspect très important de la propagande pro-fusion est l’utilisation systématique d’un vocabulaire non seulement volontariste, mais non-neutre dans la présentation du projet à une population censée se déterminer en pesant le pour et le contre de manière objective.  Ce qui est présenté ce n’est pas seulement une stratégie d’alliance pour la communauté locale, mais c’est un combat de David contre Goliath dans lequel la mise va sans hésiter sur Goliath (!). On parle de « mégafusions », de « fusions maousses », de « renforcer le poids de la commune face à … », « être plus forts… », de « la plus grande commune du canton », de « renforcer la gouvernance »… A contrario, les « fusionnettes » sont méprisées et ce dédain censé encourager les autorités communales, et les citoyen(ne)s dans leur sillage, à être « ambitieux ».

Ce qui est recherché ce n’est pas le bien-être, voire – on peut rêver – le mieux-être de la population d’une commune, mais dans une logique toute économique « l’efficacité », le  « professionnalisme », le « renforcement de l’attractivité », …

Dans les médias, des termes comme « le champion des fusions » accréditent le fait qu’une compétition s’est belle et bien  installée entre les cantons et qu’il ne s’agit plus de régler des problèmes particuliers avec la meilleure solution. Parlant des promoteurs de la fusion, on parle de « politiciens éclairés », des « Potions du Docteur Fusion »… ou, lors du vote de la Loi relative à l’encouragement des fusions de communes par une vingtaine de % du corps électoral, La Liberté se permet des termes comme « résultat soviétique » ou « ordre de marche » pour qualifier son adoption en ville de Fribourg

Un autre moyen de ce combat sémantique consiste à positiver l’apport des fusions dans la « nécessaire restructuration institutionnelle » en  prêtant à ses partisans la capacité de « voir plus grand pour s’adapter aux dimensions de la société actuelle ». Flatteuse vision mais attitude passive, censée convaincre.

« Que voulez-vous, c’est le progrès! » équivaut à « C’est un processus inéluctable ! »

L’utilisation d’un vocabulaire délibérément positif et volontariste fait plus penser à la méthode Coué qu’à une analyse objective d’un projet sérieux et grave dans ses implications démocratiques.

Même au sein des partisans des fusions, des critiques fusent pour qui n’est pas un adepte de la grande dimension. On parle de « fusionnette » pour qualifier les fusions considérées comme insuffisamment ambitieuses. On ne veut pas de celles qui compliquent la tâche en multipliant les gens à convaincre. Et l’on sait qu’une personne peut très vite changer d’avis.

 

En guerre contre la démocratie ? une guerre larvée certainement

Le discours lénifiant des autorités qui n’hésitent pas, chaque fois qu’elles le peuvent, à souhaiter garder l’aspect « volontaire » des fusions de communes, cache mal la stratégie belliciste avec laquelle elles ont bien l’intention d’imposer leur volonté. Le vocabulaire entendu ici ou là – refus décrits comme des «poches de résistance» – laisse bien affleurer cette intransigeance guerrière. Cette ferme volonté est bien considérée comme un combat dans lequel l’ennemi c’est le citoyen, considéré comme un récalcitrant s’il n’obtempère pas, sans qu’on ait l’air de forcer la main de la population.

Information ou désinformation ?

Des outils de présentation standardisés sont mis à disposition des exécutifs, afin de faciliter le travail de persuasion des élus locaux envers la population.

 

L’analyse des documents ou du discours pro-fusion est révélatrice d’une préoccupation constante de diffuser un message « positif » souvent illustré de phrases creuses dont la tournure stylistique ne le concède en rien à la vacuité du contenu.

Pour un enjeu aussi important, les outils de la plus pure propagande sont bien-entendu aussi de la partie. Les promoteurs n’hésitent pas à mêler information et désinformation. Ainsi ce qui est argument pour les uns devient contre-arguments pour les autres. Outil stratégique de la désinformation, asséner le même argument pour prouver exactement le contraire, cela réveille l’algèbre de nos bancs d’école « moins par moins égale plus ».

Petit florilège de désinformation pro-fusion et de démagogie primaire:

Ainsi, contre l’argument que les citoyen(ne)s perdent de leur pouvoir au niveau local, on prétendra au contraire que « …cette fusion a comme but de combler le déficit démocratique »  ou qu’ « …avec cette fusion la démocratie retournera à la commune » ou encore que « la fusion n’est qu’une question administrative…».

Ces assertions font éventuellement mouche chez un citoyen dont l’intérêt pour les fusions de communes ou la conscience des enjeux serait lacunaire, mais ne résiste pas une seconde à une analyse objective.

 

Evidemment, au vu de l’importance de l’enjeu, ce ne sera pas dans l’information distillée par les promoteurs de la fusion, qui devrait aussi servir à une exposition des arguments éventuellement contraires aux fusions,  qu’on va trouver ceux-ci exposés si possible de manière impartiale; la documentation n’aura, bien qu’elle ne le devrait pas, qu’une tendance pro-fusion.

 

Certains médias, des alliés de poids

Pour se faire une idée objective des implications de ce mouvement « inéluctable », le citoyen moyen pourrait se dire que son quotidien régional lui fournira les éléments de réflexion, lui relatera l’état de la situation d’une manière équitable et lui rapportera les faits sans parti pris. Ceci reste à prouver, car malheureusement pour le débat démocratique de la question, les exemples d’une prise de position partisane par les médias officiels sont légions.

Rien qu’avec leur habitude de présenter les propositions ou les projets comme des acquis, certains médias embraient le débat avec le penchant politiquement correct souhaité.

Bien qu’elle s’en défende, La Liberté est l’une des illustrations de la manière dont le « journalisme factuel » contribue en sous-main à la promotion des fusions et à la déconstruction institutionnelle dans son canton.

Voici un exemple de contribution du tabloïd fribourgeois : le mercredi 25 mars 2015, il publie un article intitulé « Un canton à sept communes ou la folle idée d’un ancien syndic ».[6] Déconstruisons à  notre tour une variante de la méthode qu’il illustre.

L’article de fond rapporte les propos pro-fusion de Daniel Blanc, ancien syndic d’une commune – Matran (FR)- qui vient de s’exprimer négativement par rapport aux fusions dans une consultation populaire aux urnes. Ce dernier avance la proposition de remodeler le canton de Fribourg sur la base « un district égale une commune », soit 7 communes pour l’ensemble du canton.

Après avoir exposé les raisons qui l’amène à cette proposition, le journaliste la valide aux yeux du lecteur en demandant leur point de vue à diverses personnalités dont le militantisme pro-fusion est notoire, à commencer par la Conseillère d’Etat en charge des institutions dont les plans de fusions qui devraient aboutir à un canton de 35 communes ont été présenté à la presse en juin 2013. Et de citer aussi Bernard Dafflon, ancien Professeur de finances publiques à l’Université de Fribourg qui prônait déjà un canton à 89 communes, justifiant, lui, sa proposition par le fait que les communes sont des réalités laïques, alors que l’ancien espace de référence ce sont les paroisses qui correspondaient mieux à la réalité sociale fribourgeoise. Ensuite, Patrice Borcard, Préfet de la Gruyère, trouve la proposition « pas si saugrenue ».[7] Il s’appuie sur l’évocation par des élus locaux de l’idée d’une union à l’échelle du district. Finalement, pour Nadia Savary, Présidente de l’Association des Communes Fribourgeoises, Daniel Blanc est un provocateur, mais les réformes de la fiscalité des entreprises et la loi sur l’aménagement du territoire ne nous laisse pas d’autre choix que les fusions, dernier argument très souvent invoqué sur le ton populaire « Que voulez-vous, on ne peut rien faire ! » censé couper court à toute ultime répartie sceptique à une analyse montrant encore quelque faiblesse rationnelle.

La mise en page accentue encore cette impression de déséquilibre dans la présentation des positions en présence en mentionnant, dans un minuscule insert sur fond jaune équivalent à environ 1/10 de l’ensemble textuel de l’article, que « Matran sort du jeu » indiquant tout de même qu’il n’y a de loin pas unanimité sur la question, tout en précisant immédiatement que l’exécutif de cette commune « reste convaincu qu’à moyen ou long terme, il s’agira de refaire le point » et se dit « ouvert à entamer toutes discussions constructives ».

On remarque d’ailleurs l’habilité rédactionnelle de La Liberté consistant à battre le fer pendant qu’il est chaud en minimisant la portée d’un échec démocratique dans les urnes en le contrebalançant par une proposition provocatrice qui relance le balancier dans une nouvelle tentative pro-fusion. Ce qui est souvent aussi une caractéristique de la prise en compte de la décision sortie des urnes si elle est contraire à l’avis des autorités[8].

La relativisation de l’information par la mise en page pourrait faire à elle seule l’objet d’un livre  et nous l’illustrerons donc juste par un exemple assez parlant dont le sujet « central »  est le vote négatif sur le projet Asse-et-Boiron (VD).

 

« Echec de 3 fusions », La Liberté du 26.01.2015

« Le principe de la fusion reste excellent »

La Liberté du 27.01.2015

 

 

Les conventions, outils de l’enterrement de toutes les promesses

La convention de fusion est le texte juridique fondamental obligatoire lors d’une fusion de communes. Elle doit régler les éléments essentiels à une fusion.

Or après quelques exemples, plutôt détaillés à l’origine, dans l’esprit du dialogue qui était souhaité, la tendance actuelle est à la minimisation des clauses des conventions, dans un esprit plutôt « ça passe ou ça casse ». Le travail de conviction est dorénavant laissé à la « communication » sur les avantages qu’apporterait la fusion qui prend le pas sur les éléments concrets qui pourraient être négociés (et obtenus) par la population des anciennes communes et portés noir sur blanc dans le texte. Ainsi, les dernières conventions publiées sont quasiment des « copié-collé » de textes standard mis à disposition par les Services des communes, comportant le strict minimum qui pourrait encore singulariser cette fusion.

Contenu standard d’une convention :

  • Territoire
  • Nom
  • Armoiries
  • Bourgeoisie
  • Patrimoine
  • Coefficients et taux d’impôt
  • Autorités et élections
  • Période transitoire
  • Administration – Personnel – Documents –Archives
  • Commissions
  • Comptes et budget
  • Questions agricoles (préposé et parchets communaux)
  • Reprise des conventions et contrats
  • Règlements
  • Aide financière à la fusion
  • Approbation et signatures

Alors, comment garantir les promesses faites lors de la campagne qui ne sont pas (plus) inscrites dans le marbre du texte ? Si nous reprenons la Convention de Belmont-Broye, sous la rubrique Administration – Personnel – Documents –Archives, elle ne contient par exemple ni la promesse de garder tout le personnel communal, ni celle d’ouvrir des guichets administratifs à Dompierre et à Léchelles… Comment dit-on ? Qui vivra, verra.

Souvent, ce sont quelques groupes de travail composés essentiellement des exécutifs communaux qui pondent en quelques mois un projet dont le gros œuvre est repris de canevas cantonaux à disposition des comités de pilotage, sans plus de réflexion et d’adaptation à la situation chaque fois particulière. Au final, la population doit se prononcer sur des projets la plupart du temps standards dont personne n’a étudié réellement les implications. Exit le débat politique, « le projet de société » et les questions gênantes.

Si celles-ci apparaissent toutefois, on peut noter trois types de réponses :

  1. Les réponses dilatoires : « on n’est pas assez avancés dans le projet de fusion pour pouvoir répondre, on ne peut rien garantir. » Là, on s’étonne qu’étant embarqués dans un processus standard déjà maintes fois expérimenté, on n’ait pas la réponse à des questions qui ne sont pas uniques. Jusqu’où faut-il s’engager dans un processus de fusion pour savoir si c’est la bonne voie ? Jusqu’au point de non-retour ?
  2. Des réponses du style : « de toute façon notre commune n’a déjà plus de pouvoir ! ». Par exemple, en matière d’aménagement du territoire, ce serait l’Etat qui déciderait de tout. Ce qui n’est évidemment pas vrai. Sinon pourquoi faire de grandes communes ?
  3. Des réponses qui montrent une ignorance des lois et des procédures.

 

 

Processus sans porte de sortie – Le problème du retour arrière

Outre le fait que les éventuelles conséquences négatives des fusions soient passées sous silence – ce qui n’est plus le lieu -, les conventions ne prévoient pas de retour arrière. Les conséquences et la méthode prévue pour en sortir, si « par hasard » les objectifs n’étaient pas atteints, ne sont tout simplement pas abordées : il n’y a pas de plan B.

Tout contrat prévoit une clause de retrait pour les parties contractantes. Aujourd’hui, même le mariage n’est plus considéré comme une union définitive et sans clause de retrait – plus d’un mariage sur deux se termine en divorce – et à plus forte raison une convention de fusion devrait prendre en compte cette option. Nous dirions même plus, elle devrait comporter une option de fiançailles, au début de l’union, un temps d’apprentissage, de fréquentation avant le « Oui » qui scelle l’union.

 

…et celui de l’abrogation des obligations décidées

Parmi la multitude d’engrenages où l’on essaie de nous mettre les doigts, à signaler l’abrogation obligatoire, après une période transitoire, des moyens qui ont permis de « faire passer la pilule » (il faut se rappeler que le but absolu c’est la fusion). L’article art.142a de la LCo  (Loi sur les communes) fribourgeoise stipule que les communes partenaires doivent fixer la durée de validité de ces obligations (au maximum 20 ans). En outre, à partir de trois ans dès la conclusion d’une convention de fusion, la nouvelle commune peut décider d’abroger une obligation si les trois quarts des suffrages à l’Assemblée Communale ou au conseil général sont atteints. Cette décision n’est pas soumise au référendum facultatif.

On demande le vote populaire pour fusionner, mais ensuite les décisions importantes sont déléguées, notamment l’abrogation des arguments qui ont pu convaincre…

Même l’élection des nouvelles autorités peut être sujette à caution: l’Art 135 al.3 de la LCo prévoit que « si la fusion a lieu en cours de législature, les conseillers des communes qui fusionnent peuvent entrer sans élection au conseil communal de la nouvelle commune ».

Ainsi, des autorités élues sans mandat de fusion pourraient se retrouver aux commandes de la nouvelle commune sans nécessité de repasser par les urnes.

Heureusement, des élections ont lieu tout de même dans les communes où le nombre de conseillers qui acceptent d’entrer au conseil communal de la nouvelle commune, est supérieur à celui des sièges à repourvoir. Ouf !

 

L’urgence contre la réflexion

De nos jours, le monde souffre de la suprématie de l’urgence; pression sur le temps de la réflexion, sur le temps du sens, sur l’essentiel et le fondamental. Le temps reste plus que jamais une variable stratégique, et les fusions ne dérogent pas à cette règle. La vitesse fait partie de la stratégie d’acceptation : ces projets qui demanderaient à être réfléchis, mûris, sont souvent menés dans la précipitation, sans participation réelle des citoyen(ne)s, alors qu’il s’agit ni plus ni moins de leur accès au « permis de conduire » leurs propres affaires. Décider sous la pression, est-ce vraiment décider ou est-ce subir les choix des autres ? Cette urgence imposée rend la prise de décision difficile et conduit à la faible lisibilité des conséquences de nos actes.

Les délais de rédaction des conventions de fusion, puis de réflexion pour les citoyen(ne)s – puisqu’ils ne participent quasiment jamais à leur élaboration – sont réduits au minimum, et ne permettent pas à la population le recul nécessaire pour des décisions lourdes de conséquences.

Cette banalisation de l’urgence, symptôme d’une «hyper modernité» qui justifie déjà la mise entre parenthèses d’un fonctionnement institutionnel normal, ne doit en tous cas pas autoriser un organe quel qu’il soit à s’arroger les pleins pouvoir sans contrôle démocratique. La construction artificielle d’une urgence par les autorités permet de se passer de l’aval ou de l’implication du peuple à moindre frais.  Et c’est bien ce qui se passe.

De son côté, déplorant le fait qu’il n’existe pas dans le canton de Vaud de plan de fusion au niveau cantonal, le Préfet de Payerne constatait que, devant «le volontarisme» des Fribourgeois en la matière, les Broyards du canton de Vaud devraient cesser de tergiverser.

Ensuite, une avancée sur un front nourrit l’urgence d’en faire avancer un autre.

 

Sondages et manipulation

Certes, certaines questions ne doivent être appréhendées qu’avec prudence. C’est notamment le cas quand on prend le risque d’évoquer des « manipulations ». Précisons donc d’emblée que mon propos n’est pas de mettre en cause ni des résultats de votes aux urnes, ni des chiffres dont on aurait tordu la réalité. Pour cela il faut des preuves et je n’en ai pas.

 

Il n’échappe cependant à personne que les sondages jouent un rôle non négligeable dans la formation de l’opinion en vue de votations. Il faut considérer les sondages comme des outils stratégiques utilisés par ceux qui veulent influencer l’opinion publique. Dans le cas des fusions de communes, ceux-ci ne dérogent pas de la règle.

Sans entrer dans le détail d’une analyse plus fouillée, il est utile de suggérer au lecteur quelques clés de lecture de ces instruments qui lui permettront de relativiser le message mis en exergue par ceux-ci :

  • Commanditaire : qui a fait faire le sondage ?
  • Contexte : qui a réalisé le sondage ? Quelles sont les allégeances politiques du sondeur ?
  • Sondés : combien de personnes ont-elles été sondées ? Quelle population fut sondée et à quelle période (quel furent les éléments d’actualité au moment du sondage) ? Comment a-t-on choisi les répondants ? Quel fut le taux de réponse ? Combien (proportion) ont refusé de répondre au sondage ?
  • Moyens : sondage par téléphone, email ou interview ?
  • Sondage lui-même : quel était le libellé des questions ? La formulation était-elle neutre ? Quel était l’ordre des questions et leur voisinage ?

Malheureusement, les sondages influent le résultat du vote, c’est prouvé, soit en renforçant une tendance par effet de contagion, soit en provoquant une fausse confiance ou un découragement.  En connaissant les « résultats probables», les citoyen(ne)s auront tendance à voter « stratégique » plutôt que selon leur conviction. Ce qui est un non-sens démocratique[9].

On voit que les sondages peuvent facilement être manipulés en un appel déguisé à plébisciter un sujet. Ceci dit, nous ne prétendons pas qu’ils le soient tous, néanmoins il est important d’avoir ces clés de lecture en tête, de considérer les données factuelles plutôt que leur interprétation. Un sondage n’est pas une analyse.

C’est toute la question de « l’interprétation orientée » en politique que nous n’aborderons qu’en citant ce petit exemple :

Ainsi, la limite temporelle du droit à la manne cantonale d’incitation est attribuée à l’empressement du peuple qui l’aurait voulu par son “plébiscite” de la LEFC. A la question de deux députés qui se plaignaient du délai trop court, il fut répondu «… qu’une prolongation contreviendrait à la volonté du peuple qui a voulu une avance rapide des projets en acceptant la loi d’encouragement[10]».

 

L’approche sociologique des opinions

Sans aller trop loin, il n’est pas inintéressant non plus à ce stade de mettre encore le doigt sur un autre aspect de la gestion de l’information au sein d’un projet de fusion et de l’observer d’un point de vue plus critique.

Dire que l’information permet la formation de l’opinion ressemble fort à une vérité de la Palisse. Dans le cas particulier, tous les efforts du COPIL tendent à créer au sein de la communauté des citoyen(ne)s un sentiment dominant en faveur de la fusion avec l’impression accessoire que ce sentiment leur est commun et bien sûr librement acquis. Mais comment s’obtient cette convergence ?

Notre optimisme pourrait au moins nous faire penser que l’examen des arguments et le libre arbitre de chacun détermine son adhésion à un jugement et que cette convergence n’est que le résultat de cette conviction qui se forge en chaque individu. Mais les théoriciens de la publicité et, avant eux, de la propagande ont depuis longtemps prouvé que ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Essayons donc de sortir de cette naïveté !

Les individus même s’ils sont doués de conscience ne prennent pas leur décision ni ne se positionnent individuellement sans l’influence extérieure volontaire ou non de tierces personnes. Ainsi, connaître les différents processus d’influence ainsi que les éléments rentrant en compte dans la prise de position nous permet de mieux comprendre d’où viennent nos opinions, et, bien sûr, aussi au dirigeant d’adopter une attitude propice à la bonne orientation du projet. Ne lui laissons pas l’avantage !

L’influence principale peut être synonyme d’affiliation pour des sujets dépendants et conventionnels, de mise en conformité pour ceux qui recherchent plutôt le consensus ou finalement de légitimation pour ceux pour qui l’avis majoritaire a valeur de vérité.

Un autre type d’influence développe l’idée que la redondance d’une affirmation pourtant minoritaire, et peut-être inexacte,  peut influer inconsciemment la majorité dans la mesure où cette affirmation contient une part même minime de « vrai ». L’influence développée par ce genre d’affirmation mobiliserait ainsi plutôt l’attention et non la réflexion.

Dans le cadre d’un questionnement démocratique et participatif, le contexte de soumission au projet ne paraît pas très probable. Néanmoins, il n’est pas impossible qu’il existe des effets de normalisation afin de présenter extérieurement un consensus, voire un peu de conformisme. Accessoirement, il est indéniable à la vue des fréquents débats et échanges qu’une autre influence est à l’œuvre quelques fois dans les processus, notamment cette fois chez les auditeurs. En effet, il est probable que certains participants solidement ancrés dans leur positionnement influencent de manière plus ou moins quantifiable leurs semblables.

D’autres éléments exercent encore une influence : le langage sociologique assimile certains événements ou certaines représentations à des mythes ou des symboles qui forgent aussi l’opinion.

Les structures de pouvoir représentent aussi des personnes disposant d’une légitimité suffisante pour asseoir les décisions et diffuser des messages. Le Préfet, les membres des autorités cantonales font office de structure du pouvoir et il apparaît très clairement que leur positionnement influe sur l’orientation des habitants. De même, les systèmes de contrôle dont font partie les consultants ou les professionnels chargé d’organiser la fusion des communes ont le même pouvoir d’influence.

Enfin, la structure qui détermine l’organisation chargée de gérer et de décider les actes relatifs au projet, en l’occurrence la structure intercommunale mise en place dans le cadre du processus de fusion (COPIL) par son action influence forcément la prise de décision individuelle dans la mesure où elle représente physiquement un projet qui pour le moment reste théorique et organisationnel.

A partir de ces diverses influences, des interventions s’opèrent en fonction de la nature des éléments formant le système de valeurs et la sensibilité des gens à convaincre. Savoir les repérer aide à s’en affranchir.

 

Dénigrement de la résistance, voire menaces

D’autres outils, tout aussi machiavéliques et que ne dénierait certainement pas Schopenhauer, sont en œuvre et nous éloignent fondamentalement du débat démocratique.

A savoir le recours à la peur et aux émotions pour valider des affirmations ou encore le recours à la menace (nous serions responsables des conséquences de notre choix). Dans ce sens sont activé une kyrielle d’arguments n’ayant pas de réalité actualisée mais  qui s’inscrivent virtuellement dans un futur dont d’ailleurs personne n’est capable aujourd’hui de deviner ce qu’il sera, nous l’avons déjà dit.

De même, l’argument qui relègue les opposants au rang de passéistes imprégnés de leur esprit de clocher est assez classique et ne mérite qu’une citation pour l’exemple :

« Le temps de défendre sa petite commune est passé ! » Bulletin d’informations Belmont-Broye n°3

Contrairement à cette affirmation, la lutte pour le maintien d’entités locales réduites, à taille humaine, pourrait s’avérer faire partie de la solution dans certains débats cruciaux pour le futur. Ainsi celui de la transition énergétique commence par une réflexion et une action de relocalisation pour y ancrer la durabilité et diminuer notre dépendance aux énergies fossiles.

 

Avis contraires ?

On pourrait s’attendre dans un processus comportant un tel enjeu à sentir la préoccupation de l’exécutif (ou du COPIL) – seul acteur de la préparation de la fusion – de garder une ligne objective, présentant le pour et le contre dans l’argumentation soumise à la population et de prendre en compte des avis divergents. Mais c’est tout le contraire qui se passe.

Plutôt que prévenir des questions comme « Quels sont les arguments dans votre analyse qui militeraient contre une fusion ? Comment sont-ils pris en compte ? » les autorités en charge de mener le projet de fusion jusqu’à l’acceptation dans les urnes, minimisent systématiquement tout ce qui pourrait alimenter un avis contraire.

Si l’on en croit l’information donnée lors de la première « séance d’information » du 3 décembre 2013 du projet Belmont-Broye, le seul inconvénient des fusions est « le surcroît de travail pour les futurs conseillers communaux » ! On croit rêver! Soit cela prouve le total manque de sérieux de l’analyse faite, soit, c’est plus probable, cela dénote d’une volonté délibérée d’informer les citoyen(ne)s de manière orientée et pas du tout objective.

Alors dans quelle mesure les oppositions à une fusion sont-elles intégrées à la réflexion ? Poser la question, c’est y répondre: aucune intégration de la population, cela a déjà été cité, et encore moins des avis divergents sur la fusion.

Dans les études – et dans les fusions elle-même -, qu’est-ce qui garantit qu’on « instruit à charge et à décharge », car tant de voix officielles se prononcent « pour », catégoriquement, avant tout travail d’évaluation (syndics, préfets, Conseillers d’Etat etc.)… ? Rien justement! Ce qui est vécu au niveau de l’information des citoyen(ne)s semble prouver que seul les arguments pro-fusion sont pris en compte et mis en avant. L’emballement général des partisans pro-fusion frise le ridicule tant le manque de réflexion neutralisée est flagrant.

Pour garantir les chances d’un vote positif sur la fusion, toutes les astuces sont utilisées et notamment les outils qui permettent d’anticiper les faiblesses du projet ou d’anticiper les oppositions comme les votes consultatifs. Ainsi voici comment le Conseil d’Etat fribourgeois envisage cet aspect de la question et comme il cache mal sa volonté d’imposer les fusions partout où la volonté de fusionner ne s’exprime pas :

« Le Conseil d’Etat rappelle la possibilité d’organiser dans le périmètre des projets de fusion des votes consultatifs, afin notamment d’anticiper les oppositions et d’identifier les éventuelles faiblesses des projets de convention. Il incite toutes les communes impliquées dans un processus de fusion à prendre ainsi l’avis de leurs populations au préalable, afin d’optimiser les chances de réussite des fusions. Il rappelle qu’il se réserve la possibilité d’organiser de tels votes dans les périmètres qui n’auraient pas entrepris de processus dans les délais prévus par la loi relative à l’encouragement aux fusions de communes. »

 

Est-il prévu un budget pour des opposants au projet de fusion ?

Réponse du Préfet de la Broye à notre demande d’éclaircissement

Faire des études, diffuser de l’information, même dans un cadre limité, coûte de l’argent. Dans le cadre du projet de fusion de Belmont-Broye, nous avons interrogé le Préfet de la Broye pour savoir dans quelle mesure un projet mené de façon objective par le COPIL (Comité de pilotage) devait intégrer également un financement des arguments opposés à la fusion.

Voici un extrait de la réponse du préfet de la Broye à cette question: « Les fonds dont disposent les collectivités publiques pour accomplir leurs tâches servent notamment à développer des projets et à en informer la population, s’agissant plus particulièrement des objets qui lui sont soumis. Un citoyen ne saurait ainsi prétendre à obtenir un financement public pour assurer la diffusion de ses idées, faute de base légale. »

Par contre, cet autre exemple, dans le cadre du projet concernant Gletterens(FR), démontre ce qu’il en coûte d’essayer de diffuser une contre-argumentation de manière « sortant de la base légale » :

« Une amende de 300 francs. Il s’agit de la peine infligée à l’auteur des flyers anonymes distribués le 12 septembre dernier, soit dix jours avant le vote concernant la fusion entre Delley-Portalban, Vallon et Gletterens («LL» du 28 septembre). Pour rappel, les tracts fustigeaient le projet d’union à trois qui avait finalement été refusé le 27 septembre.

Le coupable était en fait un citoyen de Gletterens qui avait été démasqué par les autorités communales. «Nous avions constaté de visu qu’il déposait les flyers dans les boîtes aux lettres», explique le syndic du village Nicolas Savoy.

Comme la première page du tract était une copie du bulletin d’informations communal sur lequel figuraient entre autres les armoiries des trois communes, l’exécutif a déposé une plainte pénale le 30 septembre. Le plagiat contrevenait en effet à une loi fédérale traitant des armoiries publiques. Le Ministère public a dès lors condamné le prévenu à 300 francs d’amende, une décision contre laquelle l’homme n’a pas fait recours ».[11]

Plutôt que de discuter les arguments des opposants – comme le débat l’exigerait -, une astuce juridique permet de mettre fin à leur expression même. Sans vouloir défendre cette action maladroite dans la forme, ne peut-on y lire une demande d’équilibre entre une argumentation systématiquement POUR dispensée en continu par les canaux officiels et une nécessaire mise en perspective par l’évaluation de ce qui pourrait militer CONTRE les fusions ?

 

Le vote

Vient enfin le grand jour de la votation. Moment attendu. Moment redouté. Rendez-vous avec l’histoire, si ce n’est avec l’Histoire. Ce jour marque de toute façon, quelle qu’en soit l’issue, chacune des communes, chacune des communautés locales. Soit parce qu’il révèle une résistance contre une volonté de dissolution, une confiance dans l’ancrage local du futur quel qu’il soit et dans la capacité de résilience de la communauté locale,  soit parce qu’il marque un point de départ vers une aventure à (re)construire, sans retour arrière.

Un point de démocratie en totale contradiction avec cette volonté de construction d’un futur commun qui devrait émerger de la décision prise ce jour là, réside dans le fait de la validation de la fusion à la majorité simple. Ainsi, sur 100 électeurs, deux votes de plus d’un côté ou de l’autre font pencher la balance et peuvent décider de l’avenir de toute une communauté.

A relever, nous venons de le voir, que toute modification à posteriori de la convention de fusion nécessite, elle, une majorité d’au moins trois quarts des voix de tous les élus du législatif (du moins dans la loi fribourgeoise). Nous avons vraiment là deux poids, deux mesures qui décrédibilisent le processus démocratique sur une question aussi fondamentale.

En cas d’acceptation, on proclame alors un choix «totalement démocratique », bien qu’arraché des urnes à grand renfort d’incitations financières. Moins d’autodétermination, moins de proximité, moins de compétences et de libertés laissées aux citoyen(ne)s, voilà le butin de ce véritable hold-up.

 

La gestion des refus

Bien entendu, en cas de vote négatif, toutes les catastrophes de la terre et de l’univers sont promises à la(les) récalcitrante(s) ! Plus personne ne va vouloir assumer des charges exécutives, le budget communal va exploser, les employés communaux vont s’asseoir parterre et toutes les entreprises qui y travaillent depuis des lustres vont fuir sur les bords de la Riviera, enfonçant encore un peu plus la petite commune dans un « alleingang » suicidaire !

Quoiqu’il en soit, dans tous les cas, une première évidence s’impose : initialement destiné à rassembler, tout projet de fusion divise et le clivage instauré, bien plus que dans n’importe quel choix proposé à la communauté, est aussi fondamental que la question soumise et nourrit pour longtemps bien des aigreurs.

Cent fois sur le métier tu remettras l’ouvrage!

Malheureusement, un vote négatif des citoyen(ne)s sur un projet de fusion ne marque pas forcément le point final du combat contre un processus dommageable pour la communauté locale.

C’est le cas du projet de fusion des communes de l’Est neuchâtelois, baptisé Entre-deux-Lacs, qui à peine rejetée par les citoyen(ne)s du Landeron, a été relancée en incluant cette fois un plan B : une convention « bis » sans la commune d’Enges qui ne cache pas son scepticisme devant ce nouveau projet précipité.

Les exemples ne manquent pas non plus de projets avortés par le désistement de l’une ou l’autre commune et relancés dans une nouvelle configuration territoriale, même incongrue[12].

Car, il faut au moins reconnaître aux promoteurs des fusions leur persévérance, on devrait même plutôt dire leur obstination, à vouloir faire aboutir leur plan et c’est sans surprise que les populations locales doivent s’attendre à voir resurgir, tel un phénix, un nouveau projet de fusion, alors que le précédent est à peine consumé.

L’analogie avec l’oiseau mythique ne s’arrête pas là. De la même manière que des cendres de ce bûcher surgissait un nouveau phénix qui contrôlait le feu de mieux en mieux à chaque résurrection, avec les années et « l’expérience », les projets de fusion renaissent de projets trop vite enterrés avec de nouvelles variantes, adoptées « sur le feu » par des députés attentifs à maintenir la pression sur des citoyen(ne)s vers qui on revient constamment à la charge pour obtenir le fameux Graal.

Par exemple :

Là, plusieurs opposants ont argumenté sur la perte d’origine qu’ils subissent, et hop ! des députés montent au créneau pour proposer un amendement de la loi.

Garder le lieu d’origine, même si la commune indiquée n’existe plus… Même en ignorant tous les problèmes techniques que cela pose (en matière de traçabilité notamment), on ferait mieux de proposer des compensations démocratiques à intégrer aux conventions plutôt que d’insister avec les mêmes solutions aussi extrêmes.

Là, des autorités communales se plaignent du délai trop court qu’on leur accorde pour déposer une convention de fusion, et hop ! des députés montent au créneau pour proposer une prolongation.

Là encore, on juge que l’incitation financière n’incite pas assez, et hop ! des députés argumentent qu’on donne plus ailleurs et on vote une coquette rallonge qui remet tout le monde dans le train.

Ce genre d’artifice fait partie de la stratégie globale qui s’affine au cours des années et dont le but est d’obtenir les fusions à tout prix, en corrigeant ce qui doit l’être en fonction du but à atteindre..

Tout ça n’est pas très sérieux, mais on pourrait se rattraper en se demandant :

Quel sens a finalement cette diminution du nombre de communes qu’on veut absolument imposer ?

Où est la limite ?

Quel doit être le rôle politique de la communauté locale ?

Si l’on sait qu’on parle déjà de fusion de districts, de fusions de cantons, sans parler de la relance incessante du débat sur l’intégration européenne, cela laisse songeur.

Doit-on conclure que toute cette subdivision est inutile ? Voire un obstacle ?

[1] l’adresse internet de contact du projet Belmont-Broye n’a été mise en ligne que le 30 juin 2014 pour un projet démarré le 21 juin 2012 (site en ligne depuis le 1er avril 2014 !)

[2] BDO, Lettre au communes (septembre 2011)

[3] Service des Communes et des Relations Institutionnelles (SeCRI – VD) Version juin 2008

[4] BDO, Lettre aux communes (septembre 2011)

[5] Wikipedia

[6] La Liberté, édition du mercredi 25 mars 2015 p.10

[7] D’ailleurs ce dernier, après avoir fait une proposition pour une Gruyère à 7 communes, a repris récemment le flambeau des mains de Daniel Blanc et milite maintenant pour une Gruyère passant de 25 communes à 1 seule. Un district, une commune.

[8] Cf la votation du 2 décembre 1992 sur l’EEE avec l’expression  « dimanche noir » de Jean-Pascal Delamuraz.

[9] Selon Patrick Préville – Président d’Indice RP(firme spécialisée en relations publiques et en mesures d’impact), cité par le journal en ligne « Le Devoir » le 27 mars 2014

[10] La Liberté 5 juin 2013

[11] Article de la Liberté, 24.12.2015, « Auteur de tracts anonymes condamné »

[12] Alors que, dans la recherche de l’adéquation des cadres de vie et du cadre politique, l’on appelait à une « plus grande cohérence », on a déjà vu des projets montés avec des territoires scindés (Estavayer-FR-) ou tournés vers des pôles d’activité différents (Belmont-Broye-FR-)