décembre 11, 2023

Le Livre – Les outils d’une machine anti-démocratique (1)

Une stratégie bien rôdée

Il faut le reconnaître, jusqu’il y a peu le débat était quasiment monopolisé par une machinerie pro-fusion lancée à plein régime et contre laquelle il est toujours très difficile de se dresser.

Pour qui s’est intéressé un minimum aux projets de fusion en cours, il apparaît rapidement que la  « préparation et le développement » des  projets de fusion avant leur  soumission devant les citoyen(ne)s des communes répond à un schéma toujours identique sur lequel est bâti la « stratégie d’acceptation » par la population.

Les éléments principaux de cette stratégie, incontournables, sont :

  • L’entonnoir législatif et administratif
  • Les incitations financières
  • Le lancement du projet de fusion
  • Les partenaires et les outils à disposition des communes
  • L’information de la population
  • Le marketing de la convention
  • La canalisation des oppositions
  • Le vote et la gestion des refus

La préparation de l’entonnoir législatif: la technique du saucisson

En premier lieu, il convient de rappeler, à nous qui l’avons peut-être voté, ou de montrer, à nous qui nous en sommes trop peu préoccupé, quel entonnoir légal, puis administratif, rend ces fusions maintenant presque « inéluctables ».

Bien que sa mise en place soit évidente dans une lecture à posteriori, le « saucissonnage » de l’adoption des lois qui constituent cet entonnoir participe à rendre opaque les réels enjeux de chaque paquet de mesures à la majorité des citoyen(ne)s.

Ainsi, si on reprend l’exemple fribourgeois, le soutien financier aux premières charrettes de fusions à la fin des années 90, début des années 2000, dont le Conseil d’Etat avait juré qu’il ne serait pas renouvelé, a finalement trouvé un relais presque anodin – si l’on en oublie ses conséquences ! – dans cette simple phrase glissée bien à propos dans la nouvelle Constitution de 2004 :

« L’Etat encourage et favorise les fusions de communes. » Art.135 al.1

Dès lors, forcément, les lois et règlements y relatifs (Loi relative à l’encouragement des fusions de communes, LEFC) devaient être formulés et votés par le Grand Conseil et le peuple, ce qui fut achevé le 15 mai 2011, dans l’indifférence d’une unique votation cantonale qui n’attira pas le quart des citoyen(ne)s aux urnes.

Cette loi, soumise au référendum financier puisqu’elle reprenait l’argument de l’incitation financière qui avait convaincu les premières candidatures de la fin du XXe siècle, mettait elle sur les rails un nouveau train de fusions.

Malgré la pression jointe à cette dotation financière (délai de remise des conventions de fusion signées au 30 juin 2015), le plan prévu par les Préfets fribourgeois n’a pas convaincu, loin s’en faut, toutes les communes concernées et le Grand-Conseil s’est vu « contraint » de remettre le couvert en profitant au passage de glisser quelques corrections « minimes » dans le processus pour lever les obstacles psychologiques et renouveler l’antidote financière aux réticences des récalcitrants. Au final, le délai de dépôt des conventions a été prorogé et le texte de la loi permet maintenant de conserver dans l’indication d’origine des citoyen(ne)s de la nouvelle commune, entre parenthèses, le nom de l’ancienne commune accolé à celui de la nouvelle, contre le paiement d’un émolument.

Le carcan législatif est renouvelé, un peu plus serré, et une nouvelle charrette de projets de fusions vont certainement se présenter dans le « pipeline », comme on dit maintenant.

La conjonction des lois et règlements

Mais l’entonnoir législatif n’est pas uniquement composé de mesures directes visant les fusions. Certaines lois comporte également des aspects pernicieux pour l’autonomie des communes et les poussent à être absorbées par « l’évidence de la nécessité de fusionner ».

  • Par exemple, la révision de la loi scolaire qui incite les communes à revoir leur planification du fait de la réorganisation des cercles scolaires qui impliquent une concentration des infrastructures.
  • Par exemple encore, l’obligation faite aux communes d’offrir un accueil extrascolaire, voire des places de crèche, ne tenant pas compte du contexte local, impute des charges relativement importantes qui grèvent surtout les budgets des petites communes. Non que nous soyons contre ces mesures, mais la communauté locale doit rester libre de la manière dont elle compte assumer cette charge avec les moyens qui sont les siens.
  • L’introduction d’une 2e année d’école enfantine
  • Le regroupement des cercles de protection contre le feu
  • Le regroupement de la protection civile
  • Le regroupement de la protection de la population
  • La nouvelle loi sur les eaux

Tous ces points participent à l’entonnoir légal qui se construit petit à petit en dessous des communes et renforce ainsi celui-ci par des conjonctions légales qui rendent la contrainte des fusions encore plus prégnante.

Les incitations financières

Avec de bonnes raisons, une bonne part du dialogue, du côté pro-fusion, est focalisé sur les arguments financiers censés apporter une amélioration dans la situation pécuniaire des communes et des particuliers impliqués dans un projet de fusion.

Il est de notoriété publique que sans incitation financière, il serait quasiment impossible d’imposer les fusions telles que cela se fait actuellement. Cet appui financier à l’argumentaire pro-fusion se traduit par deux offres imparables : l’incitation financière et le taux d’imposition.

Quel est le principal argument des fusions ?  « Le porte-monnaie ! » répond-t-on assez spontanément. Passez en revue tous les argumentaires POUR les fusions, ce sont toujours des arguments économiques qui sont avancés. A la tête de ceux-ci, le « petit sucre » du cadeau cantonal, l’aide financière aux fusions, qui devrait aider à faire basculer les derniers indécis dans l’escarcelle des fusionneurs. Citez un seul argument humain, solidaire, de justice ou de renforcement de la démocratie populaire qui soit pris en compte pour positiver les projets de fusion, vous n’en trouverez aucun!

Malgré la possibilité déjà laissée aux autorités de certains cantons d’imposer les fusions, la problématique  de la fusion et sa législation sont maintenant presque toujours liées à des incitations financières que les cantons mettent en place pour susciter des « vocations spontanées ».

L’aide financière cantonale

L’incitation financière allouée à chaque fusion, fer de lance de l’arsenal de conviction de la population sur le sujet, est en elle-même une incongruité démocratique, voire une impudence. Pour favoriser les processus de fusion menés à leur terme, les cantons puisent sans complexe[1] dans leur budget pour encourager la population à glisser un vote favorable dans l’urne. Mais chez nous, cela ne s’appelle pas achat du vote comme dans les républiques bananières,  mais incitation financière.

Depuis belle lurette, les cantons se sont rendu compte de l’efficacité de la carotte financière proposée aux communes si elles acceptaient de fusionner avec une ou plusieurs voisines. Ainsi, alors que le canton de Berne peinait à convaincre ses communautés locales à s’engager dans des projets de fusion, celui de Lucerne mettait ses millions résolument sur la table pour s’assurer l’adhésion et le volontarisme de ses communes[2]. Le canton de Fribourg, pionnier des fusions de communes en Suisse avec le Tessin, après avoir essuyé un premier échec en votation populaire sur le sujet des fusions communales dans les années 70, s’est rapidement rendu compte de l’efficacité de cette incitation financière et l’a inscrite dans le marbre de la loi en 2011 avec la Loi relative à l’encouragement des fusions de communes (LEFC). Elle y a même adjoint ce qui est devenu un standard de la persuasion, un délai très court pour le dépôt des conventions de fusion signées, condition sine qua non de l’obtention de la manne cantonale pour les communes volontaires.

L’importance de cet argument financier dans l’acceptation ou non des fusions est telle que tous les tenants de la solution sont conscients que sans elle, il n’y a pas de fusion.

Dans le canton de Neuchâtel, par exemple, le Conseiller d’Etat Jean Studer avouait volontiers « Sans incitation financière aucune fusion ne serait acceptée ». Le Conseil d’Etat, n’a d’ailleurs tardé à passer de la parole aux actes et a proposé au Grand Conseil d’affecter une partie des recettes de l’or de la BNS à la constitution d’un fonds de réforme des structures de l’Etat et des communes. Le législatif cantonal a accepté et doté ce fonds de près de 25 millions de francs.

Le rôle de l’incitation financière était aussi souligné par le Conseiller d’Etat fribourgeois, Pascal Corminboeuf: « Jusqu’à maintenant le Conseil d’Etat n’a jamais refusé ce qu’il a appelé lui-même des fusionnettes. Mais c’est vrai qu’il n’y avait pas d’incitation à avoir plus d’ambition. Aujourd’hui en fusionnant sept communes on va toucher la moitié plus d’argent de l’Etat. C’est clairement une incitation financière supplémentaire pour oser avoir des projets ambitieux. » En effet pour inciter aux grandes fusions, la subvention accordée est augmentée de 10% dès la troisième commune, puis de 10% supplémentaires par commune en plus.

Autre exemple: la Loi d’encouragement aux fusions communales fribourgeoise a largement été amendée par le Grand Conseil pour favoriser la fusion du « Grand Fribourg ». En supprimant le plafond de 10’000 habitants pour les communes fusionnées, on permettait ainsi à la subvention promise aux 6 communes concernées de passer de 9.8 mio à 16.9 mio de CHF soit une augmentation de 72%). Sans succès jusqu’à maintenant…

On vise « grand », on vise « gros », et il est vrai que tous ne peuvent pas compter de la même manière sur cette aide pécuniaire, insignifiante pour des petites communes, si on considère les objectifs ambitieux du canton. Hors les griefs que nous lui trouvons, nous l’aurions vue inversement proportionnelle à la capacité financière des communes concernées.

Evidemment, l’aide financière cantonale est enrobée d’objectifs louables s’ils étaient atteints:

  • Viser l’autonomie par l’agrandissement des communes
  • Accroissement des capacités des communes
  • Accomplissement efficace des prestations communales

Mais une appréciation plus directe du but visé est ressortie de la conférence de presse du Conseil d’Etat le 5 juin 2013 : « Les autorités comptent sur l’effet de carotte que constituera l’aide prévue par la loi sur l’encouragement aux fusions (50 millions de francs au total). Pour obtenir un financement, les communes doivent présenter leurs projets d’ici à juin 2015. »[3]

…en réalité, il s’agit d’obtenir l’assentiment rapide, activer le réflexe plutôt que la réflexion des citoyen(ne)s.

N’oublions donc pas de leur dire que l’aide financière à la fusion ne représente que quelques années de péréquation, s’ils la touchent, et que cette contribution cantonale disparaîtra ensuite…

Plus sérieusement: ces objectifs ne pourraient-ils pas être atteints sans impliquer une contre-partie de déficit démocratique?

A qui profite l’incitation financière ?

L’incitation financière profite-t-elle davantage à la communauté cantonale ou aux communes ? Un nombre croissant de cantons suisses offre des incitations financières aux fusions de communes. On peut donc s’interroger sur les motivations qui les poussent à consacrer des moyens budgétaires à cette politique incitative qui s’accompagne d’une reculade démocratique évidente.

En réalité, elle bénéfice au canton sur toute la ligne…

Mais est-ce même sûr ? L’allégement financier du canton est une fiction aux yeux de certains auteurs, car deux communes financièrement faibles demeureraient financièrement faibles après leur fusion. En outre, l’intensité des activités de conseil ne baisserait pas vraiment, car si des communes plus grandes auraient certes moins de questions à faire résoudre par des experts cantonaux, celles-ci seraient en revanche d’autant plus complexes.

Les millions de ces charrettes d’incitation ne représentent-ils pas une sorte de gaspillage de l’argent public ?

Une trace écrite des vraies raisons incitant les cantons à favoriser les fusions se retrouvent dans le programme de législature de l’exécutif neuchâtelois qui identifie le redressement des finances cantonales comme le défi immédiat le plus  pressant. Le Conseil d’Etat présente ensuite les fusions de commune comme un des  moyens permettant de relever ce défi. Ainsi pour résoudre les problèmes du canton, on fait pression sur le niveau communal inférieur avec les conséquences que l’on sait.

Le Conseil d’Etat fribourgeois également justifie son aide financière comme un moyen de persuasion « démocratique » : « il y a peu de chance que les contribuables de la commune accueillent l’idée d’une fusion, s’ils doivent en supporter les conséquences négatives. Ils refuseront probablement une diminution de la marge nette d’autofinancement… » (Etat de Fribourg, 1998)

D’ailleurs, est-elle réellement incitative ? Si l’on y réfléchit, on peut s’en référer aux montants perçus à travers la péréquation financière. Ceux-ci sont généralement largement supérieurs à long terme que le montant de cette incitation. De plus, les fusions placent souvent les communes dans une position nouvelle potentiellement contributrice dans cette même péréquation, ce dont il faudra tenir compte dans les futurs budgets (et dont il n’est pas tenu compte dans les premiers budgets qui doivent convaincre les gens pour voter la fusion).

Bref, quoi qu’il en soit, l’aide financière ne semble toutefois pas l’arme fatale pour faire tomber les communes dans l’escarcelle des fusionneurs. Sur les 50 millions budgétés pour cette aide par le canton de Fribourg, seuls 6.5 millions ont été attribués, raison supplémentaire d’une prolongation du délai de dépôt des candidatures dans ce canton.

Et dernière question sur ce sujet litigieux à poser aux autorités communales qui s’engagent dans un projet de fusion – notamment suite aux échecs récents plus nombreux – : aucune aide financière n’étant accordée en cas de refus de la fusion en votation, quels montants non remboursés ont-ils été engagés et selon quelle compétence ?

Débats autour de la péréquation : moins de solidarité cantonale pour plus de pression

Mais une nouvelle pression financière sur les communes vient partiellement nous contredire et s’est encore fait jour plus récemment dans les Parlements cantonaux, quelques fois sous la houlette des communes contributrices, comme dans le canton de Neuchâtel avec la bénédiction des autorités cantonales dont elle conforte les objectifs : la remise à plat du système de péréquation financière qui jusqu’alors était plutôt inhibiteur d’une volonté de fusion de la part des petites communes dont il assurait la consolidation de l’autonomie par solidarité. Ainsi, on retrouve aux commandes de ce revirement le canton de Lucerne à l’initiative en 2003 et 2009 qui révise alors son système de calcul ; le canton de Berne lui a emboîté le pas en 2012.

Depuis, cette volonté de réforme, qui rompt avec la solidarité dont le système se voulait le garant, s’exprime avec des accents de plus en plus décomplexés et proprement égoïstes par rapport aux minorités. Le sommet actuel de cette pression s’exprime à travers la Loi sur les Communes valaisanne actuelle qui institue à son article 134 parmi les mesures de contraintes ni plus ni moins la suppression des contributions de péréquation financière aux communes qui se refuseraient à la fusion après une injonction du canton.

N’est-ce pas là une nouvelle illustration du caractère anti-démocratique des fusions de communes telles qu’elles sont envisagées actuellement ?

Le porte-monnaie est un argument efficace bien sûr. On le dit : « l’argent, c’est le nerf de la guerre ! ». Mais le « nerf de la paix », quel sera-il ? Pour ma part, je pense que nous disposons avec la démocratie directe exercée localement d’un instrument qui permet aux communautés humaines de vivre en paix. Depuis des générations, la Suisse en est un exemple envié. Essayons de continuer de faire envie !

Allocation de fusion contestable en comptabilité

La problématique financière n’est par ailleurs pas du tout réglée. Cette « aide à la fusion », n’introduit-elle pas un élément nuisible à la réalité comptable de la commune en embellissant les comptes de départ ?

Pour les communes qui se vantent d’y être parvenu, on remarque souvent que la forte diminution de la dépense  pour intérêts et amortissements est à attribuer au fait  de l’aide financière du canton qui a contribué massivement, au moment de la  fusion, au financement de la réduction de la dette publique. Sans ce cadeau de noces, la fusion n’aurait pas eu  un effet de réduction des dépenses de fonctionnement de réelle envergure.

L’affectation pour moitié ou en partie de l’allocation de fusion à la réduction du déficit structurel global nous semble contestable et peu en regard avec les principes comptables. Il s’agit purement et simplement d’améliorer artificiellement le déficit de la nouvelle commune fusionnée. De fait, l’amortissement de la dette est bien de loin le premier secteur d’affectation de la subvention reçue du fonds cantonal pour la fusion dans le canton de Fribourg[4], et l’on peut penser qu’il en va de même dans les autres cantons.

Le simple fait que l’Etat encourage financièrement cette démarche a de quoi inquiéter. On achète le vote de manière plus ou moins camouflée, et ceci n’est pas une pratique synonyme de liberté démocratique. Près de 20% des communes consultées avouent que cette incitation financière est un élément déclenchant de leur projet de fusion[5].

La promesse d’une baisse d’impôts : un peu de glue pour les mouches

L’autre face de l’argumentation financière à l’appui des fusions de communes, est celle du taux d’imposition, un argument qui parle à la majorité des gens, surtout s’ils travaillent dur pour nouer les deux bouts.

La promesse d’une baisse d’impôts : à cette corde sensible est attachée la principale stratégie mise en place par les autorités pour faire passer les fusions. Avec l’incitation financière, ce sont des leurres sans lesquels aucune fusion n’aboutirait. Accessoirement, c’est aussi un appel d’air pour un développement démographique espéré.

Mais là, prudence également ! Selon les statistiques[6], les charges par habitant croissent cependant avec la dimension de la commune et toute dépense persistante devient alors un risque important compte tenu de la volatilité des recettes fiscales. Avec les grands investissements (quelques fois uniquement de prestige) décidés à la faveur de la fusion et des  promesses  faites, l’endettement s’accroît, favorisé par les taux favorables actuels.

Malgré cela, les projets de fusion poussent maintenant comme champignons après la pluie…

Bilan d’un leurre financier : Huit communes sur onze !

La conjoncture et la situation financière des communes ne sont pas toujours prévisibles, loin de là. En 2012 également, par exemple, certaines communes ont eu de la peine à présenter un budget 2013 qui soit équilibré et plusieurs ont même été obligées d’introduire une hausse du taux d’imposition des contribuables de leur commune pour espérer retrouver les chiffres noirs.

Or, à la lecture attentive de la liste des communes[7] qui se sont retrouvées dans ce cas au début 2013, on constate non sans une certaine surprise – au vu de ce qui était promis aux citoyen(ne)s de celles-ci – que huit communes sur les onze qui ont augmenté leur taux d’imposition sont des communes issues de fusions récentes (2004 pour la plupart).

Il s’agissait des communes fribourgeoises fusionnées de

  • Cugy (Broye),
  • Chapelle, Mézières, Siviriez (Glâne)
  • Ependes, La Sonnaz (Sarine)
  • Le Flon, La Verrerie (Veveyse)

Dans ces communes les impôts ont augmenté entre 3% et 13,5% de  l’impôt cantonal de base (les 3 autres communes – non fusionnées – étaient Grandvillard (Gruyère), Courgevaux (Lac) et Uebersdorf (Singine)).

A ces huit communes, il faut encore ajouter les communes de Granges et Semsales en Veveyse (également fusionnées) qui ont quant à elles augmenté leur taux de contribution immobilière.

 

 

Un taux d’imposition systématiquement proposé à la baisse

On trouverait certainement des exemples semblables dans d’autres cantons. On sait parfaitement que la pérennité d’un taux d’imposition est aussi aléatoire que celle de la conjoncture économique. Comme nous le voyons, les exemples ne manquent pas parmi les communes fusionnées de la nécessité d’une réadaptation à la hausse du taux d’imposition, le scénario s’est malheureusement déjà répété depuis.

Ainsi donc, il semble bien que les taux attractivement bas qui sont proposés à l’avantage des fusions, avant les votations sur celles-ci, ne tiennent souvent pas la route plus d’une législature, la fameuse législature de transition où tout est artificiel dans la nouvelle commune.

Le taux d’imposition est systématiquement fixé bas au lancement de tout projet de fusion pour emporter l’adhésion des citoyen(ne)s… Puis, au vu de la réalité, on peut dire qu’il s’agit purement de glue pour les mouches !

Par contre, ces taux attractifs constituent, on le sait, le nerf de la guerre pour arracher dans les urnes une restructuration définitive des communautés communales. Un argument de combat pour les fusionneurs, vite contrecarré par les faits… Mais trop tard !

Avec l’incitation financière versée aux communes fusionnées, le taux d’impôt appliqué dans la nouvelle commune au début de son existence est souvent utilisé comme argument ultime pour convaincre les récalcitrants et sert de tapis à une concurrence fiscale qui se met en place.

L’introduction de la concurrence fiscale

Systématiquement on promet une baisse d’impôts et une attractivité nouvelle à la future commune promue « pôle de développement », oubliant tout aussi systématiquement la progression des charges induites par l’accroissement démographique et la nouvelle étendue de la commune.

Un autre argument économique tient donc le haut du pavé dans tous les projets de fusion : l’augmentation de l’attrait fiscal. Ce point, aujourd’hui imparable, dans la concurrence que se font les régions économiques est sans doute le plus sournois pour les communes qui cherchent à se développer. En effet, attirer des entreprises sur le territoire communal est devenu un sport aux enjeux troubles dépassant quelques fois de beaucoup le cadre des communes qui s’y adonnent.

Jusqu’à aujourd’hui, les cantons mènent le jeu, qui n’est sans doute pas étranger à leur intérêt pour les fusions de communes, mais pour l’instant le chacun-pour-soi risque aussi d’entraîner les cantons eux-mêmes dans les chiffres rouges comme ce fut le cas de Zoug, ce qui aurait comme effet collatéral de miner les communes sous-traitantes et leur faire regretter de s’y être laisser entraîner.

Le revers de la médaille

Il faut donc prendre conscience du fait que toute diminution du taux fiscal représente moins d’entrées dans le ménage communal au moment où les besoins seront maximaux et observés de près.

Avant toute autre considération, on peut déjà simplement se demander : pourquoi, lorsqu’on met en place des projets aussi ambitieux que la restructuration de plusieurs communes pour une meilleure compétitivité, on leur enlève d’entrée une part des recettes (car diminuer les impôts communaux, c’est effectivement diminuer les recettes) qui leur seront justement nécessaires pour assurer au mieux une mise en œuvre lourde et pas toujours très prévisible dans ses implications financières. Car, à la fin, si on veut vraiment réussir ce qui reste un challenge, ne devrait-on pas attendre que la situation soit effectivement saine pour relâcher l’effort.

La promesse de l’abaissement du taux fiscal a également un autre effet pervers, c’est qu’il laisse croire que l’alternative est la suivante : une augmentation du taux d’impôt est inévitable à moins de fusionner. Mais l’impossibilité de projections à long terme de la situation financière de la commune rend caduque toute spéculation sur le taux fiscal et les investissements possibles. Cette impuissance à prévoir le long terme devrait renforcer les doutes qu’on peut nourrir sur le bien-fondé d’un abandon sans retour des acquis.

Un mandat bien peu démocratique

Une remarque tirée du processus fribourgeois qui a mené à la vague de projets de fusions actuels ajoute encore un doute supplémentaire à un processus qui s’apparente plus à un hold-up qu’à une démarche démocratique.

Au printemps 2011, bien que la loi fribourgeoise relative à l’encouragement des fusions de communes (LEFC) soit sous toit au niveau du Grand Conseil cantonal, les campagnes pour les élections communales se passent en dehors de toute allusion au grand chambardement institutionnel qui se prépare. Les électeurs sont loin de se douter que les autorités qu’ils mettent en place en mars et avril seront celles qui auront à gérer, sans possibilité de les remettre en cause, les conséquences de cette même LEFC, elle-même mise en votation lors d’un scrutin uniquement cantonal, juste un peu plus tard, en mai 2011.

Il n’est donc pas hors de propos de prétendre que c’est sans mandat démocratique aucun que les autorités communales fribourgeoises de cette législature ont entrepris de signer les conventions de fusions pour lesquelles la LEFC avait fixé un délai ultime de remise au 30 juin… 2015, soit une année avant le renouvellement des autorités. Clic-clac Kodak, le tour était joué !

Le lancement du projet de fusion

Une chose frappe dans la quasi-totalité des projets de fusion : ils ne sont jamais décidés par les citoyen(ne)s eux-mêmes. Cela se comprend dans les cantons, qui comme Fribourg, ont un plan de fusions où les communes sont, de fait, quasiment obligées de convoler. Le projet est d’abord pris en charge par les syndics, puis directement par les exécutifs qui seront les chevilles ouvrières de l’élaboration du projet. Dans ces cantons, le projet est généralement directement présenté à la votation des citoyen(ne)s, sans phase intermédiaire.

Dans d’autres cantons, et dans quelques rares communes des précédents, le législatif, voire la population sont consultés avant d’entamer la phase de l’étude de la fusion proprement dite.

Il est cependant arrivé que des projets de fusion soient lancés par une initiative des citoyen(ne)s. Il se vérifie cependant toujours que dans ces cas, l’un(e), au moins des initiateurs soit un(e) membre des autorités agissant personnellement en continuité de son mandat électif.

[1] Après avoir fait approuver une loi ad hoc évidemment…

[2] „Wirksamkeit der Fusionsförderung im Kanton Bern“  Evaluation der Förderinstrumente anhand der Kantone Bern und Luzern, Master-Thesis von Vezira Korac, 2012 p.4

[3] La Liberté du 5 juin 2013

[4] Fusions de communes dans le canton de Fribourg: Bilan de l’exercice du point de vue de ses actrices, les communes fusionnées Micheline Guerry-Berchier, IDHEAP, 2009

[5] idem

[6] Office fédéral du développement territorial, cité par le journal 24h le 2.10.2013

[7] La Liberté du 15 février 2013