Des fusions imposées d’en haut
Opter pour une stratégie du haut vers le bas (émanant des cantons) ne peut réussir et n’est pas souhaitable sous l’angle de la souveraineté des citoyen(ne)s qui devrait être le premier critère d’argumentation.
Alors qu’au début du phénomène, le législateur était sur la retenue dans la mise en place des fusions de communes, le volontarisme dont font de plus en plus preuve les cantons, dans une sorte de concurrence des uns avec les autres, lève au contraire les dernières réserve face à l’imposition des fusions, notion de moins en moins taboue.
Ainsi, les constitutions sont régulièrement amendées avec des lois de plus en plus contraignantes pour les communes qui donnent l’impression d’un véritable entonnoir des solutions restantes aux communes pour régler leurs éventuels problèmes, qui se réduisent presque toujours à la seule fusion.
La volonté est clairement là de faire aboutir les fusions de communes coûte que coûte. A la journaliste qui lui demandait si l’on n’allait pas, dans une prochaine étape, passer des fusions « volontaires » à des fusions contraintes, la réponse du Conseiller d’Etat fribourgeois Pascal Corminboeuf a été claire : « Oui, la Constitution le prévoit. On a décidé d’attendre les résultats de cette nouvelle étape de fusions avant de prendre des mesures de contrainte. Si le résultat des courses n’est pas satisfaisant en 2017, on le fera. »
…Et l’on continue de prétendre que ces fusions se font sur des bases « volontaires ».
Contre l’argument démontrant que les fusions sont imposées « d’en haut », on oppose que « les fusions sont volontaires » et qu’elles viennent « d’en bas ».
Imposition pernicieuse même, illustrée par cet exemple tiré d’une expérience vaudoise: Dans son introduction lors de la séance d’information sur la nouvelle commune fusionnée autour de Cudrefin, Monsieur Leuba a affirmé que ce n’est absolument pas une volonté du Conseil d’Etat d’imposer la fusion aux communes. Quelques minutes plus tard, dans une réponse apportée par le Syndic de Vallamand, Monsieur Rindlisbacher, celui-ci déclare que « certaines petites communes se sont vu refuser des zones de construction si elles agissaient seules. Les services cantonaux leurs ont clairement fait comprendre que la seule solution possible était de se regrouper afin d’obtenir satisfaction ! » Voilà bien une illustration de la dualité qu’on retrouve en permanence dans le discours politique : d’un côté on nous dit que l’Etat n’imposera rien aux communes et de l’autre ce même Etat fait pression sur les communes pour qu’elles fusionnent afin d’être prises en compte. Conditionner la collaboration entre l’Etat et les communes, n’est-ce pas inconstitutionnel ?
L’autonomie politique est encore un bien inaliénable aux yeux de beaucoup de communes, heureusement. Mais la volonté de s’accrocher à cette liberté fondamentale ne suffit plus à la garantir. Certaines d’entre elles, s’étant vu imposer des fusions contre leur gré, se sont opposées. Ce fut les cas d’Ausserbinn, en Valais, et de Cadro au Tessin que nous avons déjà évoqués. Ce devrait être le cas de bien d’autres à l’avenir.
Surtout que les outils qui finiront par pousser les communes dans l’entonnoir des fusions sont déjà prêts selon l’ancien Conseiller d’Etat Pascal Corminboeuf : « Cela doit passer par deux grands axes. Le premier est déjà tracé, c’est la péréquation intercommunale. L’autre axe consiste à se demander à quoi serviront les communes vu la tendance à la cantonalisation de certaines tâches et à la centralisation au moyen de pots communs. »[1]
Une idée pragmatique qui mine les communautés locales
La solution „fusion“ est appliquée à toutes les problématiques, ce qui concourt à la rendre « inéluctable ».
Nous ne sommes plus maîtres de notre organisation sociale. A travers les fusions de communes, on prétend adapter le cadre institutionnel et politique aux « exigences de notre temps ».
Mais si nos problèmes sont vraiment réels, pourquoi leur solution passe-t-elle par la suppression des communes plutôt que par celle des problèmes ?
Les termes de « mariage forcé » ou de « chèque en blanc » ne sont pas incongrus. Il vaudrait mieux que la démocratie prenne son temps.
Une réforme territoriale et administrative qui emporte tout dans sa mise en œuvre
Des structures institutionnelles existent entre la commune et le canton. Au fur et à mesure des besoins, le législateur a donné sa préférence à l’une ou l’autre forme celles-ci.
La structure la plus commune est celle de l’association intercommunale, qui joue son rôle dans le partage des tâches supra locales. Il en existe d’autres. Le canton de Neuchâtel, par exemple, est doté de syndicats intercommunaux, syndicats régionaux et associations régionales.
La mode est à un autre concept : l’agglomération, « l’agglo » comme on dit. Ces structures forment souvent un enchevêtrement qui donne de l’eau au moulin aux tenants des fusions, car elles absorbent beaucoup de bonnes volontés, dissipent beaucoup d’énergie et souvent font l’objet de critiques sur la « transparence de leur gouvernance ».
Mais plutôt que de dépoussiérer tout cela, pour y voir plus clair, c’est le niveau local qui est attaqué et dont on exige la disparition par la fusion. Toute l’officialité s’y met avec en tête le Conseil d’Etat, le Service des Communes, l’Association des Communes (fribourgeoises notamment), les préfectures, les exécutifs communaux.
D’autre part, on a trop souvent constaté le glissement centralisateur des lois votées par les députés ou des décrets du Conseil d’Etat dont les conséquences financières sur les communes ne sont pas assez évaluées avant leur validation sous forme de textes législatifs.
Le résultat de ce laxisme se retrouve dans la situation contrainte dans laquelle se trouvent les communes les moins favorisées : ce seront les premières dans la prochaine charrette de fusions.
Le pire c’est que cette solution n’amène finalement pas d’amélioration réelle et à long terme des problèmes causés par cette fragilisation et que les mêmes communes se retrouvent quelques années plus tard au pied d’un nouveau questionnement vers la fusion suivante avec les mêmes arguments pour la faire valider par une population fréquemment trop crédule.
Entre les communes qui demeurent réticentes à l’idée même d’une fusion, celles qui n’entrevoient une fusion qu’avec leurs voisines directes et celles qui se montrent résolument ambitieuses, les réponses à la problématique communale sont diverses, mais permettent petit à petit de mettre les fusions de communes au centre des enjeux de la gestion publique, et par une stratégie lentement élaborée de les imposer comme unique solution.
Soyons clairs, le processus n’est pas anti-démocratique en lui-même puisqu’il utilise les rouages d’une démocratie représentative telle que nous la connaissons.
Le problème provient plutôt du fait qu’il s’agit d’une entorse sérieuse à l’autodétermination de la population dans la mesure où ce qui est en jeu ne touche pas simplement le fonctionnement de la communauté que les élus sont censés gérer, mais qu’il en va de l’existence même de la commune en tant qu’entité autonome, dont l’existence est pourtant garantie par la Constitution Fédérale.
Ce droit à l’existence et à l’autodétermination est mis en péril par le processus des fusions qui retire une part de représentation aux citoyen(ne)s chaque fois qu’il est mis en action. Cette part n’est souvent pas trop conséquente en soi si on considère chaque fusion séparément. Mais le phénomène de saucissonnage, bien connu en politique, entraîne sans qu’on ne s’en rende compte vraiment un glissement de cette compétence d’autodétermination vers un niveau représentatif supérieur.
Ceci lentement, mais sûrement, jusqu’au jour où tous les échelons intermédiaires de la pyramide fédéraliste auront été supprimés. Le résultat, c’est la fin de la proximité du pouvoir qui permet une prise directe sur les questions nous concernant et donc la fin programmée de nos libertés. Et pas forcément pour de bonnes raisons…
Les surfeurs de la déferlante « fusion »
Pour obtenir l’adhésion des citoyen(ne)s aux projets de fusion, toute une panoplie de moyens s’est mise place avec les années, pour arriver maintenant à une batterie d’études, d’arguments, d’incitations et de soutiens, officiels ou non, de bilans orientés de sorte que toute la vie institutionnelle des communes semble actuellement emmenée dans une seule direction : l’entonnoir des fusions.
La tendance ne fait que de se renforcer et l’on se retrouve même en période de réelle surenchère. Parmi les adeptes de la « page blanche » à remplir pour redessiner un pays conforme à leurs vues, j’ai mentionné en avant-propos principalement les intellectuels des Universités et les milieux économiques. Parmi ceux-ci, le Professeur Pierre-Alain Rumley de l’Université de Neuchâtel a publié un livre en 2010[2] où il reprend une idée assez proche des ambitions d’Avenir Suisse qui rêve d’une Suisse organisée autour des mégapoles en proposant, lui, de la réduire à 9 cantons ! Il affirme que la Suisse s’est endormie sur un fédéralisme dépassé et inefficace, et propose de passer de 26 à 9 cantons, et d’agglomérer les communes dans des entités d’au moins 10’000 habitants (« cette taille est un minimum, plutôt qu’un optimum » dit-il), pour redynamiser le pays.
A l’image de sa commune du Val-de-Travers, elle-même issue de la fusion de 9 communes sur les 11 du district, le rapprochement d’unités territoriales qui n’ont pas la même fonctionnalité institutionnelle n’est plus considéré comme déplacé par certains fusionneurs, et certains y vont carrément de leurs propositions iconoclastes. Dans le district de la Veveyse (FR), le projet présenté par le préfet prévoyait même carrément la fusion de toutes les communes de son district en une seule dans la première mouture du plan de fusion qu’il présenta au gouvernement du canton de Fribourg. Si ce projet rencontra une assez vive opposition au sein des communes concernées et ne vit finalement pas le jour sous cette forme, l’idée fut reprise récemment par le Préfet de la Gruyère qui propose ni plus ni mois la fusion des 25 communes de la Gruyère en 1 seule. Un district, une commune ! Quel est le sens de cette extension ? Quel est encore le rôle de la commune ? Si l’on sait que l’on parle déjà de fusion de districts, de cantons, cela laisse songeur. Doit-on finalement en conclure que toute cette subdivision n’est d’aucune utilité ou qu’elle est devenue superflue voire même un obstacle ? Si l’on écoute ou si on lit ce qui se dit à propos des communes, on ne peut qu’être convaincu de leur disparition prochaine tant la résistance semble faible. Or ce genre de questions est fondamental dans la réflexion sur les fusions de communes.
Après les premières hésitations, rapidement étouffées dans l’œuf par des modifications légales, petit à petit de plus en plus contraignantes, ce qui n’était au début qu’une réponse de bon sens dans quelques rares cas bien particuliers, s’est transformé maintenant en un rouleau compresseur réformateur sur lequel les plus opportunistes ont compris qu’ils avaient intérêt à s’appuyer et contre lequel les citoyen(ne)s ont de plus en plus de peine à se dresser tant le « consensus » paraît unanime, les incitations financières et les intérêts particuliers agissant finalement comme l’ultime carotte devant convaincre les derniers récalcitrants.
La réalité est que ces projets de fusions sous des apparences consensuelles très politiquement correctes, par le redécoupage territorial qu’elles sous-tendent, réveillent des ambitions territoriales expansionnistes enterrées depuis des lustres et nous ramènent à l’époque féodale.
Tout ceci n’a plus aucun sens, dans le sens de « signification », de « rationalité ». Mais tout ceci va bel et bien dans une direction : la fusion de toutes les entités fusionables. N’a-t-on pas entendu Pascal Corminboeuf, l’initiateur des fusions à large échelle, et d’autres, appeler de leurs vœux les prochaines étapes. Toutes se déclinent sur le mode « fusion ». « On est persuadé que si ce projet de fusion des communes aboutit comme on le souhaite, ce sera plus facile de reprendre le sujet des fusions de districts ensuite ».
[1] Interview par Sébastien Julan, La Gruyère, 25.4.2006
[2] « La Suisse de Demain », Pierre-Alain Rumley, Presses du Belvédère, 2010