L a l i t a n i e d e s p o n c i f s
Les argumentaires adeptes de la méthode Coué
Les « soi-disant » avantages des fusions de communes, systématisés depuis le début des années 2000 dans tous les argumentaires pré-formatés transmis de projet de fusion en projet de fusion, sont tirés d’une même énumération, continuellement rabâchée à la population par les autorités, les médias, les spécialistes et autres experts en mal de reconnaissance cantonale, fédérale voire internationale.
Leur utilisation qu’on ne peut pas, à la limite, reprocher au commun des mortels qui ne fait que répéter ces arguments, ou éventuellement encore aux médias qui les rapportent, est en revanche, de la part des autorités élues et de leurs conseillers, non-élus, le signe d’une inquiétante volonté de restructurer la cellule de base de la démocratie.
Souvent purement virtuels, ils acquièrent auprès des citoyen(ne)s, avec le nombre de répétitions et à la longue, force de « réalité » que personne ne met plus en doute, et, encore moins, ne confronte à la moindre analyse rationnelle, ni à un quelconque bilan.
Nous allons donc détricoter un certain nombre de ces miraculeuses promesses jaillies du chapeau des fusions et démontrer qu’une large part d’entre elles sont creuses et uniquement présentes pour que le citoyen glisse un « Oui » dans l’urne le jour de la votation.
Garantir l’autonomie future de la commune… Ensemble plus forts !… Augmenter notre poids politique… Faciliter la participation politique de la population… Rien ne change !… Faire des économies d’échelle… Professionnaliser… Gagner en efficacité… Maîtriser notre avenir… Améliorer les services… Mettre en commun les ressources…
Les objectifs, ou plutôt, les promesses sont nombreuses…
Toutes les publicités des promoteurs, tous les sites des projets de fusions de communes ont une rubrique « Pourquoi fusionner ? » et alignent en guise de réponse un inventaire de raisons toutes plus accrocheuses les unes que les autres pour résoudre de manière « pragmatique » des problèmes qu’on oublie de décrire au citoyen censé se déterminer et, surtout, qu’on oublie d’analyser.
Pour l’instant, passons en revue ces poncifs, si naïvement et si systématiquement resservis qu’il est possible de les inventorier et d’y répondre tout aussi systématiquement, mais, bien sûr, du point de vue des citoyen(ne)s censés en bénéficier cette fois.
L’autonomie communale
Si l’autonomie communale semblait être un principe acquis de la démocratie, l’attaque qu’elle subit aujourd’hui par le biais des fusions de communes est pourtant bien réelle. Là où l’affaire se corse, c’est que cette autonomie est sollicitée comme argument pour justifier ces mêmes fusions.
Une fusion est en effet ressentie par la population locale comme une perte d’autonomie, dans la mesure où elle entraîne de facto la dissolution d’une ou de plusieurs communes, dont l’existence s’inscrit le plus souvent dans une longue histoire, touchant par là-même la problématique délicate de l’identité collective. On voit donc que les réticences aux fusions relèvent de plusieurs ordres, et pourtant, l’obstacle le plus important tient à l’autonomie des communes face à leurs territoires. Alors ? Où est le problème ?
Par une lecture particulière, du côté des promoteurs des fusions, on considère que cette autonomie ne cesse de s’émietter. Pourquoi ? D’une part en raison du décalage croissant entre les structures spatiales institutionnelles et les espaces fonctionnels et d’autre part en raison des exigences croissantes de la Confédération, des cantons et– ne l’oublions pas – des citoyen(ne)s. Les conséquences en sont la centralisation larvée des tâches et surtout des compétences de décision ainsi que le transfert d’une partie toujours plus importante des tâches communales à des associations intercommunales au sein desquels les citoyen(ne)s ont généralement moins de possibilités de participation que dans les communes.
Si on peut éventuellement admettre en partie cette analyse et prévoir les conséquences de cette situation, pour regagner l’autonomie des communes il faut surtout voir que les remèdes préconisés vont exactement à l’encontre de ce qu’il convient de faire pour la récupérer. Les fusions de communes, si elles créent effectivement des entités où certaines tâches peuvent être accomplies « en interne », contribuent simplement dans un premier temps à supprimer les petites communes par absorption, voire annexion. En quoi protège-t-on ainsi la communauté locale ?
On parle surtout d’autonomie financière, on se préoccupe moins de la liberté laissée au citoyen de décider de ce qui le concerne directement. Selon l’étymologie, l’autonomie c’est le pouvoir de se donner ses propres règles, donc concerne l’indépendance. Si les citoyen(ne)s ne représentent plus que le 1/10 de la population de la nouvelle commune, on comprend qu’il sera difficile de se faire entendre.
L’autonomie communale véritable implique une liberté d’action et de décision aussi étendue que possible sur le plan financier, oui, mais aussi organisationnel et politique.
Le Conseil d’Etat fribourgeois mentionne que l’intérêt de l’Etat à soutenir les fusions de communes est dicté par la volonté de garantir à long terme l’autonomie communale (Etat de Fribourg, 1999). Mais de quelle manière pense-t-on arriver à cette autonomie ? En chargeant encore plus les communes ?
En évoquant les problèmes induits par la trop petite taille de certaines communes, le Conseil d’Etat fribourgeois note que les tâches qui ne pourront être assumées par les communes faute de compétences suffisantes, le seront par l’Etat (Etat de Fribourg, 1999). Il poursuit en estimant qu’il y va de l’intérêt de toutes les communes du canton de voir leur autonomie renforcée, et se voir confier des tâches nouvelles (Etat de Fribourg, 1999). Mais la question est donc de savoir ce qui se fait ou pourrait être fait pour renforcer cette liberté.
Quelles sont, pour l’instant, réellement les mesures prises par les cantons pour contrer la perte d’importance du niveau communal ? La seule mesure consiste à favoriser systématiquement les fusions de communes. Evidemment, si on arrive à instaurer une structure institutionnelle du type de celle déjà proposée par exemple en Gruyère (un district, une commune), il est certain que le nombre de problèmes à régler sera moins important, mais aura-t-on contribué à soutenir réellement les communautés locales existantes ?
On a plutôt l’impression que l’Etat reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre : en effet, n’est-ce pas par une législation à tendance sans cesse cantonalisatrice que les communes sont peu à peu expurgées de leurs prérogatives et soumises à un rôle subalterne d’exécutant de tâches imposées par le Canton (cette réflexion est également valable pour une tendance au niveau de la Confédération,… et ainsi de suite jusqu’au jour où l’on aura vidé le mot démocratie de son sens le plus profond que nous avions la chance d’appliquer plus ou moins idéalement en Suisse – du moins aux yeux du monde)?
Le champ de décision des Assemblées Communales, des Conseils Généraux et des Conseils Communaux de nos villages a considérablement diminué depuis un quart de siècle. A-t-on analysé quelles étaient les causes de cette évolution ?
Pour rester acteurs de nos communes et ne pas subir les décisions d’autres instances, cantonales en particulier, et donner à la population la possibilité de participer aux choix qui la concernent directement, il est important de s’opposer au glissement de compétences vers les niveaux supérieurs.
D’autre part, n’y a-t-il pas une part de responsabilité, et par conséquent une part d’action correctrice à envisager, de la part de nos députés pour défendre les prérogatives des communes, une nécessité d’agir au niveau législatif donc, contre la tendance à la cantonalisation des tâches qui retire des compétences au niveau communal ?
Il est clair que le canton a tout intérêt aux fusions. Sans fusions de communes, les dépenses du canton sont plus élevées, car il doit soutenir de nombreuses communes financièrement faibles dans le cadre de la péréquation financière et conseiller de nombreuses petites communes et en même temps le canton ne peut pas transférer davantage de tâches aux communes, car il doit tenir compte des petites communes.
Mais va-t-on renforcer l’autonomie par l’agrandissement des communes ? L’autonomie est-elle simplement facteur du volume ? Il serait intéressant d’y réfléchir.