La consultation sur la base des travaux de l’Assemblée constitutive est terminée. Prise de température dans les communes du périmètre
Magalie Goumaz et Serge Gumy
Reportage » Un samedi matin. Une camionnette aux couleurs de l’Assemblée constitutive du Grand Fribourg est stationnée près d’une place de sport où se déroule un match de football. Dans l’indifférence générale, malgré la présence de plusieurs délégués, prêts à délivrer des informations et à dialoguer avec les citoyens concernés par le projet de fusion de neuf communes du périmètre.
La fusion? La perspective est lointaine, abstraite. Le message ne passe pas encore. Pourtant, après plus d’une année de travaux, de nombreux rapports, assortis d’un questionnaire, ont été mis en consultation jusqu’au 14 juin. La population a été invitée à y participer, à donner son avis.
36: C’est le nombre de délégués des communes de l’Assemblée constitutive, chargés d’élaborer une convention de fusion
Pendant cette phase, qui a duré un mois, La Liberté a suivi quelques étapes du Fusion Truck aménagé pour sillonner le périmètre. Elle a aussi assisté à plusieurs séances d’information organisées par les communes, qui ont attiré surtout les sceptiques et les craintifs. Très peu de jeunes s’y sont intéressés. Le cœur n’y est pas. Ou pas encore. Florilège.
1. Services: le détail qui tue
«Quelle est la future politique de gestion des déchets? Est-ce que vous envisagerez de réutiliser certains matériaux, avant même de les recycler?» C’est aussi ça, une fusion. Une foule de questions qui semblent anodines mais qui ne le sont pas. Car, tous les savent, un détail peut conduire à l’échec. D’ailleurs, ce citoyen de Corminbœuf insiste lorsqu’il lui est signifié que cette question sera réglée par les futures autorités. «Le groupe de travail technique de l’Assemblée constitutive a aussi écrit que les véhicules de la future commune devaient avoir un look sympathique!» fait-il remarquer. A Givisiez, il est suggéré de ne pas imposer à tous une méthode de gestion des déchets, celle de la ville de Fribourg en l’occurrence, qui serait moins efficace que celle de la commune. «Pour moi, c’est toute la différence entre l’absorption et la fusion», commente un usager.
2. Société et écoles: pas touche
Et puis, il y a l’avenir des sociétés locales. «A Granges-Paccot, elles organisent des sorties pour les aînés. C’est peut-être égoïste, mais nous avons beaucoup de chance. Nous sommes déjà bien gâtés», lâche cet habitant. A Villars-sur-Glâne mais aussi à Matran, des parents s’inquiètent pour la scolarisation de leurs enfants. «Combien y aura-t-il de cercles scolaires? Devront-ils changer d’écoles?» Le groupe de travail Ecole et société de l’Assemblée constitutive plaide pour la proximité des infrastructures. Il recommande également d’harmoniser les bonnes pratiques existantes. Une Matranaise salue d’ailleurs l’idée de créer des maisons de quartier. «Elles sont importantes pour garder l’identité de notre village et répondre aux craintes d’une partie de la population, qui n’est pas là ce soir.»
3. Transports: mieux et moins cher
L’amélioration de l’offre en transports publics est aussi évoquée. A Givisiez, on fait remarquer qu’ils sont trop chers et la cadence insuffisante. «On entend souvent que cela revient bien meilleur marché d’aller en ville en voiture», lâche un habitant. «Depuis Corminbœuf jusqu’au centre de Fribourg, je paie 10,40 francs aller-retour parce que je dois acheter un billet valable pour deux zones. Est-ce que cela va changer? Avec la fusion, aurais-je droit au tarif pour une seule zone?» demande une participante à la soirée d’information. Mais son espoir est rapidement douché. Le système de tarification répond à des critères nationaux. En plus, c’est l’agglo qui est responsable de la mobilité. «Alors à quoi ça sert d’aller plus loin?» insiste-t-elle. Syndique de la commune, Anne-Elisabeth Nobs répond que la fusion aborde bien d’autres questions, comme les écoles, le social. «Et le grand problème de l’agglo, c’est aussi son rythme, car elle n’est pas maître d’œuvre, poursuit-elle. Il y a des projets, mais les communes vont à leur rythme. Si nous ne formons plus qu’une seule entité, ça ira plus vite, et la coordination sera plus simple.»
4. Finances: le nerf de la guerre
Le taux d’impôt, c’est le nerf de la guerre. Il sera forcément plus élevé pour les uns et plus bas pour les autres. En l’état, il se situe dans une fourchette allant de 70 à 78%. Le sujet est spécialement sensible à Villars-sur-Glâne, qui affiche un taux d’impôt communal de 63,9%. «On nous dit que cette fusion doit permettre de faire des économies. Mais on nous augmenterait nos impôts. Ça ne joue pas», proteste un citoyen.
«L’impôt communal va augmenter à Givisiez, prédit un contribuable de la commune. Ce n’est pas avec un argument pareil qu’on va nous convaincre.» Un Matranais ne croit pas aux promesses. «Un taux va être fixé. Mais ce sera pour la première année…» A Avry, un citoyen fait une suggestion. «Il faut geler ce taux pendant cinq ans. Parce que si la ville de Fribourg devient majoritaire dans les organes politiques, elle n’attendra pas longtemps pour l’augmenter, et on n’aura qu’à se soumettre.»
Un citoyen de Granges-Paccot a trouvé la parade: «Le Conseil d’Etat devrait prendre les choses en main, supprimer les districts, définir trois régions avec le même impôt: 50 centimes. Tout le monde serait heureux!»
5. Bourgeoisie: le cadeau de mariage
Que devient la Bourgeoisie de la ville de Fribourg en cas de fusion? La question a tourné en boucle dans les diverses soirées d’information. «Fribourg se déleste de ses problèmes avec la caisse de pension et la décharge de la Pila mais protège la fortune de la Bourgeoisie», commente un résident de Granges-Paccot. Un autre poursuit: «Cette fusion, c’est uniquement pour Fribourg qui veut grossir, devenir le capitaine d’un plus grand paquebot et reporter ses charges sur les autres.» A Givisiez, une voix forte tonne: «La Bourgeoisie doit rentrer dans le rang avec ses millions.»
Pas si vite. Les autorités communales et les délégués de l’Assemblée constitutive ont pu répondre à ces remarques. Premièrement, la Bourgeoisie est une institution historique qui ne peut être dissoute. Mais, avec la fusion, elle pourra poursuivre son œuvre d’utilité publique dans un nouveau périmètre. De plus, les citoyens qui ont un droit de cité dans une commune du Grand Fribourg seront aussi bourgeois de la ville de Fribourg. Et les autorités de la capitale ont constitué des réserves pour sa caisse de pension ainsi que pour l’assainissement de la décharge de la Pila.
6. Administration: fusion, confusion
A Granges-Paccot, un citoyen bougonne. «La ville de Fribourg emploie 600 équivalents plein-temps. Ma commune, 25. Nous n’avons pas besoin de cette fusion. Pour moi, il s’agit d’une confusion.» Une autre habitante renchérit: «Fribourg devrait commencer par réduire sa voilure.» Et de conclure par une pique: «Franchement, quand on voit le théâtre Equilibre, ça ne fait pas envie!» A Villars-sur-Glâne, une voix s’élève pour demander un peu de courage politique: «L’Assemblée constitutive insiste sur la garantie de l’emploi pour les employés des diverses administrations. Ce n’est pas comme ça qu’on fait des économies. Il faut trancher dans le vif. Sinon, il y aura des doublons.» A Matran, une habitante craint une «addition des actuels services, avec leurs petits chefs coiffés par un grand chef et un responsable de la communication».
7. Autorités: tous contre un
L’Assemblée constitutive a longuement disserté sur la répartition des sièges au Conseil général et au Conseil communal. Plusieurs variantes sont mises en consultation, avec plus ou moins de poids accordé aux communes concernées, notamment Fribourg. A Givisiez, le propos est clair: «Donner de fait une majorité de sièges à la ville de Fribourg, c’est faire foirer la fusion.» Certains déplorent par contre la tournure et l’importance que prend ce seul aspect. «Il n’y a pas à tergiverser. Constituons un cercle électoral pour l’ensemble du Grand Fribourg et que les partis se battent sur des idées plutôt que sur la proximité», entend-on à Villars-sur-Glâne.
8. Identité: pour des accords bilatéraux!
Les citoyens de Granges-Paccot restent à convaincre, eux qui ont refusé en 2014 une fusion avec Givisiez, Corminbœuf et Chésopelloz. Lors de la soirée d’information de ce printemps, un des leurs émet une idée. «Les communes du Grand Fribourg devraient faire comme la Suisse avec l’Union européenne: conclure des accords bilatéraux. Je ne vois pas ce qu’on a à gagner d’une fusion. Par contre, une chose est sûre, on va perdre notre identité.»
9: C’est le nombre de communes concernées: Belfaux, Corminboeuf, Avry, Matran, Marly, Givisiez, Granges-Paccots, Villars-sur-Glâne, Fribourg
Certains sont cependant prêts à faire ce pas. Notamment à Corminbœuf. «Si on regarde le projet Territoire suisse de la Confédération, on constate que Fribourg n’existe pas. Entre l’Arc lémanique et Berne, il n’y a rien. Si on continue à se regarder en chiens de faïence, on va être avalé par ces deux pôles. Cette fusion, ça vaut le coup. C’est une opportunité fantastique, et il faut le dire à la population.»
Rencontré à proximité du Fusion Truck, un habitant de Villars-sur-Glâne n’hésite pas une seconde. «Je suis favorable à la fusion. C’est plutôt l’attitude des autorités qui m’agace. Chacune se croit supérieure à l’autre alors qu’il me paraît évident qu’elles doivent se regrouper», analyse-t-il.
Et une interrogation surgit de plusieurs assemblées de têtes grises: où sont les jeunes? «Cette fusion, on la fait pour nos enfants, voire nos petits-enfants», dit la voix de la sagesse. Les jeunes. Ils répondront peut-être à cette interrogation, qui a surgi à Givisiez, après 2h20 de discussion: «En fait, quels sont les avantages d’une fusion? Je n’arrive pas à comprendre l’objectif d’être grand.»