Le sujet de la fusion de l’Entre-deux-Lacs, qui semblait être controversé seulement au Landeron, semble sortir de la torpeur estivale aussi dans d’autres localités. Des comités pro ou anti fusion se sont formés entre temps à Saint-Blaise, Cressier et Enges. Toutefois on n’a pas encore assisté à un débat de fond à l’échelle régionale, qui permette d’illustrer aux citoyens la portée précise de la décision mise en votation. Chaque comité semble mener son action dans son coin, sans se confronter avec les arguments des autres, et chacun semble amener son interprétation de la fusion, tant que parfois on se demande s’ils parlent du même sujet.
Si on remonte le fil de l’histoire on voit que les communes d’antan n’étaient pas seulement des entités politiques, mais aussi des communautés de vie économique et sociale. La vie de la grande partie des habitants se déroulait toute à l’intérieur de leur commune. Dans l’Ancien Régime, c’était les communes (et non les individus) qui étaient dans un rapport direct d’assujettissement avec le prince et l’Etat. La commune était bien alors une petite patrie. Après 1848 (pour le canton de Neuchâtel) cette situation a bien évolué: les communes bourgeoises sont devenues politiques et démocratiques, et aussi constitutionnellement réduites à des organes de l’Etat.
L’urbanisation et le progrès ont fini par effacer l’association historique entre commune politique et communauté de vie socioéconomique, mais ce processus a été graduel. Dans les petites communes villageoises, la direction politique est longtemps restée l’apanage des familles et personnes ayant des intérêts économiques locaux, généralement associés à la propriété foncière, et de celles qui, par intérêt et style de vie, continuaient de se sentir citoyens de leur « petite patrie ». Mais entre temps, le cadre de vie économique et sociale de la majorité des habitants a largement dépassé les limites communales, d’où un manque intrinsèque d’intérêt pour une vie sociale strictement locale, et donc aussi pour les fonctions politiques dans les petites communes. Avec comme conséquence une toujours plus grande inadéquation de la gestion politique et administrative locale envers les problèmes d’une société civile moderne et mobile.
Avec la fusion il ne s’agit donc pas de recréer sur un espace un peu plus vaste une nouvelle identité communautaire qui reproduirait la « petite patrie » d’antan. L’espace de vie sociale, économique et culturelle de l’immense majorité de nos habitants dépasse en effet déjà largement aussi le cadre élargi de l’Entre-deux-Lacs.
Il s’agit, plus simplement mais concrètement, de décider de dissoudre les communes existantes, pour former démocratiquement une plus grande entité politique et administrative, qui soit mieux en mesure de prendre en charge les taches de service public nécessaires à la vie actuelle.
Et également une entité qui, par sa taille et ses ressources, ait une capacité de projet et de réaction en cas de problème, que les petites communes n’ont pas. Pensons par exemple à l’impuissance des communes de la région quand elles ont été confrontées au projet de la centrale de Cornaux, heureusement ensuite balayé par ses propres défauts. Mais aussi à l’impasse dans laquelle se trouve la commune de Saint-Blaise avec le projet de nouveau collège de Vigner, qui est en train de prendre deux ans de retard par rapport au plan qui avait été voté par le Conseil général. Ou encore au développement du futur pôle industriel de La Tène, dont les couts d’aménagement sont impossibles à assumer par la commune dans les circonstances actuelles. Dans ce type de situations, on doit penser que la commune d’Entre-deux-Lacs ne peut que présenter des avantages.
En même temps, il ne faut pas nous cacher que ce projet de fusion comporte aussi des défis.
Une fusion doit être financièrement bénéfique pour être politiquement acceptable au plus grand nombre. Mais pour cela, la nouvelle entité ne peut pas se limiter à un assemblage des structures existantes, avec juste une couche en dessus, soi-disant pour en faire une « commune forte ».
Pourtant c’est bien le modèle qui est décrit dans le rapport opérationnel qui accompagne la convention, et qui a servi pour établir le budget de la nouvelle commune: il ne prévoit, par exemple, que 1,6% d’économies d’échelle dans le court terme, sans proposer d’objectif plus ambitieux pour la suite.
A notre avis, une profonde refondation de toute l’organisation locale des services publics est nécessaire si on veut atteindre dans tout l’Entre-deux-Lacs la modernité, l’efficacité et la transparence que la société civile attend de l’institution publique.
La fusion de l’Entre-deux-Lacs n’a de sens que si elle s’accompagne d’une perspective clairement progressiste et réformatrice, même si cela contrariera quelques intérêts et habitudes établis. Seulement ainsi la promesse de baisse fiscale sera réaliste, et permettra notamment d’atteindre l’équité fiscale avec le reste de l’agglomération neuchâteloise.
On peut légitimement se demander si le cadre de l’Entre-deux-Lacs est bien le plus adéquat à l’indispensable modernisation. D’autres configurations auraient été possibles. Mais il se trouve que c’est la seule opportunité qui soit sur la table aujourd’hui. Peut-être que l’Entre-deux-Lacs sera juste une phase intermédiaire vers une réorganisation de toute l’agglomération neuchâteloise, mais entre temps il mérite, à notre avis personnel, d’être soutenu.
Michel Luthi (La Tène)
Julien Noyer (Saint-Blaise)
Pascal Vaucher (La Tène)
Lorenzo Zago (Saint-Blaise)