Interview d’Annemarie Balmer, maire de Les Enfers, canton du Jura
Publiée dans Horizons et Débats
Dans les médias on pouvait lire que, dans le cadre de la politique de fusion forcée par le canton du Jura les 13
communes du district des Franches-Montagnes risquent d’être fusionnées en une seule commune unique.
Annemarie Balmer, maire de Les Enfers, a exprimé sa retenue vis-à-vis du projet, défendant un modèle de démocratie participative à l’échelle villageoise qui porte ses fruits dans sa commune et contribue beaucoup à ce que les habitants y soient contents.
La commune de Les Enfers se situe sur un haut plateau jurassien, Les Franches-Montagnes, à 955 m d’altitude. Elle a 160 habitants, dont beaucoup de familles avec des enfants. Il s’agit d’une commune jeune avec une moyenne d’âge de 33 ans.
Les Enfers est particulièrement marqué par l’agriculture, l’industrie laitière et l’élevage. 13 familles exploitent 10 fermes. Dans le village il y a cependant aussi une scierie, une petite entreprise du bâtiment, une entreprise forestière, un garage de machines agricoles et une petite fabrique de cosmétiques. Le Restaurant de la Poste, qui est géré depuis des générations par une famille du village, sert de point de rencontre et met ses locaux à disposition des associations qui s’y réunissent.
Comme le nombre d’élèves dans le village a été réduit à cause d’une réforme scolaire et que le nombre minimum d’élèves par classe a en même temps augmenté, Les Enfers s’est associé avec le village voisin, Le Bémont, qui était confronté au même problème. C’est ainsi que les enfants des deux villages fréquentent l’école enfantine et la 3e et la 4e classe aux Rouges-Terres (un hameau du Bémont), les écoliers de la 1ère et de la 2e classe primaire sont enseignés aux Enfers, tandis que la 5e et la 6e classe de l’école primaire se rendent au Bémont. Ainsi chaque village a pu maintenir son école et son enseignant à lui.
Le secrétariat communal se trouve au rez-de-chaussée de l’école et les assemblées communales ont lieu dans une des deux salles de classe. L’école de Les Enfers sert donc en même temps de maison de commune. La poste et de petits magasins se trouvent à 1 km, dans la commune voisine de Montfaucon.
Horizons et débats: Madame le maire, vous êtes plutôt sceptique à l’égard du projet de la commune unique qui s’étendrait sur la surface de l’actuel district des Franches-Montagnes. Vous craignez le démantèlement d’acquis de démocratie directe qui ont porté leurs fruits dans votre commune. Pourriez-vous décrire la vie que vous menez dans votre petite commune?
Annemarie Balmer: Comme nous sommes une petite commune de 160 habitants, on se connaît. Il s’agit de respecter la sphère privée de l’autre et sa manière de vivre. Mais si quelqu’un est en difficulté et a besoin d’aide, ça va de soi qu’on le soutient. L’atmosphère dans le village se caractérise par une tolérance qui se manifeste aussi envers les nouveaux arrivés qui s’installent au village. On ne les accueille pourtant pas toujours à bras ouverts, mais on les rencontre sans préjugés et l’on observe qui ils sont avant de dire «ces étrangers …».
Quand je me suis installée aux Enfers il y a 30 ans, j’ai rencontré cette ouverture d’esprit des habitants du village, et ceci malgré mon origine bernoise.
Le fait que le Conseil communal actuel se compose par moitié de Suisses allemands et d’une Allemande dont le mari est du coin, montre bien que, pour les habitants de Les Enfers, ce qui compte avant tout, c’est de savoir si et comment quelqu’un s’engage dans le village et non pas son origine. J’ai l’impression que les gens sont relativement contents dans le village.
En plus, nous avons la chance d’avoir deux excellentes maîtresses qui vivent en partie dans le village. Ceci est particulièrement important, car s’il y a une activité villageoise et que les maîtresses y participent, les élèves eux aussi sont de la partie. La fête du village de cette année par exemple a pour thème «Les légumes». Quand la maîtresse a proposé aux élèves de préparer le jardin scolaire pour la culture de légumes, l’enthousiasme était tout d’abord mitigé. Mais quand nous avons expliqué aux enfants qu’il nous fallait des légumes pour la fête du village, ils étaient tout feu tout flamme.
Engagement de la commune en faveur de la biodiversité
Un autre exemple est le projet des «arbres fruitiers haute-tige», un projet en faveur de la biodiversité, soutenu par le canton. Nous avons décidé d’y participer en tant que commune. Comme les arbres haute-tige poussent mal à 1000 m, il fallait tout d’abord trouver un terrain approprié au sein de la commune. La commune dispose de beaucoup de terres communales qu’elle met à disposition des paysans, proportionnellement à la surface de leur exploitation. Une famille paysanne, qui exploitait un terrain communal à 700 m d’altitude, s’est portée volontaire pour mettre à disposition ce terrain qui pourrait se prêter à la plantation d’arbres haute-tige. Ils ont alors examiné le terrain avec le responsable du canton qui a confirmé qu’on pourrait y planter 20 arbres. Ils ont donc pris la parole lors de l’assemblée communale et ont présenté le projet. L’assemblée a décidé la réalisation du projet qui pourrait coûter à la commune au maximum 4000 francs suisses. Finalement, nous n’avons même pas payé 1000 francs. Le goûter a été probablement ce qui a coûté le plus cher! Pourquoi? Nous n’avons pas fait planter les arbres par le canton (120 francs par arbre) et nous n’avons pas non plus dû consulter un spécialiste du canton pour nous instruire (40 francs par arbre). Nous avons seulement acheté les arbres subventionnés par le canton (20 francs par arbre) et demandé à une spécialiste du village de nous montrer comment il fallait les planter. Nous avons décidé que les écoliers et leur maîtresse planteraient les deux premiers arbres. D’après les instructions de l’horticultrice, les enfants se sont mis à creuser de toutes leurs forces les deux trous et le soir ils pouvaient être tout fiers d’avoir planté les deux premiers arbres haute-tige de la commune. Le samedi suivant, toute la commune était invitée à planter les 18 arbres qui restaient. Une trentaine de personnes, adultes et enfants, se sont mis au travail.
Nous pourrons non seulement bientôt récolter des cerises, des noix, des pommes, des poires et des prunes d’Ajoie, la Damassine, mais mes abeilles pourront aussi butiner dans ce verger. Cet exemple ne représente qu’une petite pièce de puzzle de notre vie communale.
La fête du village est une autre activité à laquelle 90% des villageois participent. Soit qu’ils y travaillent comme volontaires soit qu’ils consomment. Il faut travailler avec l’un ou l’autre et on entre en conversation avec des gens avec lesquels on n’aurait pas forcément entamé une discussion autrement.
La communauté villageoise, une grande famille
Cette description de la vie communale montre clairement que les enfants et les adolescents contribuent à partir d’un très jeune âge à assumer les devoirs de la vie de tous les jours dans le village. Le problème de la violence des jeunes ne se pose donc pas aux Enfers?
Cela arrive bien sûr qu’un jeune franchisse les limites, mais c’est rare, et il n’y a surtout pas de bandes de jeunes. Si quelque chose se passe, dans le village, on sait très vite qui est le coupable. On lui parle et on lui dit par exemple: «Pour la bêtise que tu as faite, tu va repeindre ce mur là.» La communauté villageoise est en fait une grande famille. Là aussi, chacun a son caractère et il faut trouver comment vivre ensemble, mais en fin de compte on reste une famille.
L’école, elle aussi, joue un rôle important dans la prévention. Du fait que chez nous, toujours deux tranches d’âge sont enseignées dans une classe, les enfants apprennent tôt à s’intégrer et à se débrouiller dans une communauté de pairs. Les plus jeunes doivent accepter qu’ils en savent bien moins que leurs camarades de classe plus âgés. Les écoliers plus âgés par contre doivent prendre déjà tôt une certaine responsabilité à l’égard des plus jeunes. Dès la première classe, il est d’ailleurs obligatoire d’enseigner la branche EGS (Education générale et sociale). Dans ce cadre, les maîtresses développent entre autre avec les élèves des règles de la vie en commun en classe.
Comme l’école participe régulièrement à des activités villageoises, les enfants et les adolescents apprennent très tôt que non seulement à l’école mais aussi dans le village leur contribution est nécessaire et importante. En ce qui concerne notre jeunesse, il faut mentionner aussi le projet du «Terrain de sport», car il illustre très bien les possibilités de la démocratie directe dans une petite commune. Quelques habitants se sont rendu compte qu’il y a bien un terrain de jeux pour enfants dans le village, mais pas de lieu où les adolescents puissent se rencontrer et mesurer leurs performances sportives. Dans un tout ménage, ils ont invité les concitoyens intéressés à fonder un comité qui élaborera un projet concret pour l’amélioration de la situation. Il y a eu vite vingt personnes, entre autre l’institutrice, pour s’occuper du problème. Après plusieurs réunions, ils ont pu présenter un projet concret au conseil communal. Ils ont proposé d’élargir la cour de récréation de l’école, d’y construire une aire pour le saut en longueur et un mur d’escalade. Le tout coûterait 120 000 francs suisses. Le Conseil communal a consulté son budget et l’assemblée communale a finalement approuvé le projet à condition d’avoir avant la construction même, au moins 70 000 francs provenant d’autres sources pour ne pas trop charger la caisse communale.
«Nous avons même réussi à réduire considérablement l’endettement»
La situation financière des petites communes n’est souvent pas rose de nos jours. Comment tenez-vous les comptes pour ne pas trop augmenter les dettes?
Nous sommes une petite commune avec peu de recettes fiscales. Mais nous avons des enfants et des gens qui s’engagent. L’année passée, nous avons même réussi à réduire considérablement l’endettement par habitant. Il se monte aujourd’hui à environ 1500 francs par habitant, ce qui est très peu.
C’est dû surtout au fait que nous travaillons tous pour pas cher. Moi-même, en tant que maire de la commune, je reçois 3000 francs par an pour ce que je fais. Je n’ai pas besoin de plus, nous avons assez d’argent pour vivre. Je trouve que chacun devrait une fois dans sa vie faire un travail social, je considère mon mandat comme mon engagement social. Tous les autres, le caissier, la secrétaire, le responsable de la déchetterie ou bien celui qui plante les jalons travaillent tous pour 25 francs à l’heure.
Quelqu’un au village est fontainier, il assume cette fonction en plus de son activité professionnelle, il a un certain salaire de base et est payé pour ses heures de travail effectives. Il s’occupe de la station d’épuration et relève les compteurs d’eau. Il connaît très bien tout le système. Lorsque le caissier reçoit à la fin du mois le décompte pour l’eau et constate que ce mois-là la consommation d’eau est plus haute qu’au même mois des années précédentes, il téléphone lui-même au fontainier et lui dit: «Ecoute, il doit y avoir une fuite quelque part, tu peux voir ce qu’il y a et arranger ça?» Grâce à cette étroite collaboration, nous n’avons dans le domaine de l’eau qu’une très petite perte et l’investissement administratif est minime.
Et puis, il y en a beaucoup qui font du travail bénévole. Ici, devant l’école, il y a par exemple deux bacs à fleurs à gauche et à droite de la rue. Ce sont les deux habitants les plus âgés qui viennent arroser les fleurs chaque jour. Dans notre village, il y a du travail pour chacun, il suffit de le voir. Quelquefois on demande à quelqu’un, mais le plus souvent les gens s’en rendent compte eux-mêmes. C’est ce travail bénévole qui nous permet de maintenir des coûts aussi bas. Depuis peu, le canton interdit d’utiliser de l’herbicide dans les cimetières. Nous aurions pu engager un jardinier de plus pour le cimetière, mais nous avons dit que chacun qui s’occupe d’une sépulture d’un proche et qui y plante des fleurs peut très bien aussi arracher les dents-de-lion à côté.
Lorsque nous avons un projet plus grand, comme par exemple celui du terrain de sport, nous essayons bien sûr de réfléchir d’abord où l’on pourrait obtenir de l’argent au lieu de dire, nous le réalisons coûte que coûte. Un autre exemple de la manière de gérer notre budget est la nouvelle station d’épuration. Nous étions obligés de la construire car nous n’en avions pas encore une. Nous nous sommes décidés pour une station d’épuration biologique. Le devis s’élevait à 2,3 millions. Comme nous sommes une commune jeune avec peu de recettes fiscales, nous savions que nous ne pouvions assumer que 100 000 francs par nos propres moyens. Bien que le canton en ait assumé une certaine partie, beaucoup d’argent manquait encore. L’organisation «Schweizer Patenschaft für Berggemeinden» a cherché pour nous des donateurs et nous a soutenus finalement avec une grande contribution. Nous nous sommes également adressés à des communes ayant un taux d’impôt bas, supposant qu’elles seraient peut-être capables de nous aider. Nous avons rencontré tant de soutien financier que finalement il ne nous a fallu payer que 60 000 francs de notre caisse communale. En novembre 2007, nous avons pu inaugurer la station sans avoir eu recours à un seul centime de crédit bancaire. Parmi les donateurs se trouvait par exemple une riche commune genevoise dans l’agglomération de la ville de Genève, qui nous a envoyé 500 francs. Nous avons bien sûr invité à l’inauguration tous ceux qui nous avaient aidés. Deux représentants de cette commune genevoise sont venus, ils ont admiré la belle station et on fêté avec nous. Lorsqu’ils ont pris congé, ils ont dit: «Si vous avez besoin d’aide une nouvelle fois, faites-le nous savoir.» Pour le projet du terrain de sport, ils nous ont envoyé plus de 6000 francs.
Non aux fusions forcées
Cet exemple montre dans les faits que la collaboration fonctionne bien au delà des frontières des communes et même des cantons. Depuis 2005, le canton du Jura s’efforce malgré tout de réduire considérablement le nombre de communes au moyen de fusions. Au 1er janvier 2009, sept projets de fusion ont été réalisés et le nombre de communes s’est réduit de 83 à 64 communes. Dans un prochain pas, les 13 communes des Franches-Montagnes devraient fusionner en une seule grande commune. Comment jugez-vous ce projet?
Il y a des situations où la fusion est certainement sensée et correspond aux besoins des communes concernées. Je pense que l’on ne peut pas dire à priori que les fusions sont mauvaises. Moi, je préfère tout simplement la «voie douce». La fusion planifiée des 13 communes du district des Franches-Montagnes n’est pas issue d’un besoin primaire des communes, mais c’est le canton qui veut la faire passer par tous les moyens.
La commune unique planifiée comprendrait à peu près 10 000 habitants, mais elle s’étendrait sur un périmètre très large et dans des conditions géographiques totalement différentes. Le responsable de toutes ces routes aurait besoin de tout un bataillon d’employés pour les entretenir, ce serait un travail à plein temps. Chez nous par contre, deux membres du Conseil communal et celui qui s’occupe des routes inspectent les voies de circulation sur l’ensemble de la commune pendant 2 ou 3 heures et constatent ce qui doit être amélioré ici et là. Après, un devis est fait et la semaine suivante tout est remis en ordre. Ce qui peut être fait avec peu d’efforts dans les structures à petite étendue nécessite, dans la commune unique, un incroyable effort administratif, et cela n’a pas de sens.
Les partisans de la fusion disent que dans une commune unique tout le monde peut profiter de meilleures conditions. Mais qu’est-ce que cela veut dire, quelles sont les conditions dont j’ai besoin et dont l’autre a également besoin? Les besoins des communes sont très différents. Je dis toujours, finalement tous auront les mêmes conditions mauvaises, il n’y aura que le minimum pour tous. En outre, on prétend que la commune unique aurait davantage d’influence politique au niveau du canton. C’est une erreur. Certes, quant au nombre d’habitants, la commune unique équivaudrait la commune de Delémont, mais au lieu de 13 maires nous n’en aurions plus qu’un seul qui pourrait défendre notre cause sur le plan cantonal. C’est comme si l’on fusionnait le canton du Jura avec Neuchâtel et Berne en ayant plus que 2 conseillers aux Etats au lieu d’en avoir 6. Il s’agit d’une argumentation absolument absurde. Les partisans d’une fusion disent tout simplement que le maire de la commune unique représenterait 10 000 habitants. Ils veulent donner le pouvoir à un seul, tandis que maintenant il y en a 13 qui le partagent. Il s’agit clairement d’une concentration de pouvoir.
Le conseil communal de la commune unique se composerait de 5 personnes, du maire et de 4 conseillers communaux. Actuellement ce sont environ 100 personnes qui s’occupent au niveau communal de cette région d’une surface d’environ 200 km2, et ceci en plus de leur activité professionnelle et très souvent de manière bénévole.
Petites communes: les citoyens savent qu’ils peuvent faire bouger les choses
Un argument souvent avancé en faveur d’une fusion est le prétendu manque de personnes pour assumer une fonction communale. Si l’on pense que les gens sont plus motivés pour assumer une fonction politique dans lacommune unique, il s’agit d’une illusion. Les mandats dans une commune unique prennent tellement de tempsque la plupart de ceux qui s’engagent dans leur «petite commune» aujourd’hui, en plus de leur activitéprofessionnelle dans leurs communes, ne pourraient plus exercer de mandat politique après la fusion. Un agriculteur, par exemple, ne peut pas abandonner pour 4 ans son exploitation agricole. Dans une petite commune par contre, il peut fournir sa contribution sans être obligé de faire de la politique sa profession et sans adhérer à un parti politique. Aux Enfers, aucun conseiller communal n’est membre d’un parti politique. Les électeurs les connaissent et les élisent pour leurs qualités et non pas pour leur appartenance à un parti. C’est encore le cas dans beaucoup de petites communes. Ce sont les questions spécifiques à résoudre qui sont au premier plan et non pas les querelles de partis politiques. La motivation de participer aux élections est plus grande dans les petites communes, puisqu’on connaît les candidats et leur engagement. Il est également plus intéressant de participer à une assemblée communale où il s’agit de problèmes qui me concerne directement et où j’ai l’impression de pouvoir influencer les décisions. Il est frappant de voir que le taux de participation aux élections et aux votations dans notre commune se situe à 50, voire à plus de 60%. Je pense que c’est lié au fait que les citoyens savent qu’ils peuvent faire bouger les choses, qu’ils ont quelque chose à dire.
Dès que les jeunes ont 18 ans, ils sont incorporés au service du bureau de vote. C’est peut-être une autre raison du taux de participation élevé aux votations dans notre commune. Les jeunes se rendent tout à coup compte de cette possibilité de participation. Récemment, une jeune femme de 18 ans, qui a été convoquée comme scrutatrice au bureau de vote, n’avait pas du tout envie d’assumer ce devoir. Elle a dit: «Bof, j’en ai vraiment marre, je sortirai samedi soir et je serai vachement fatiguée dimanche matin!» Je lui ai répondu: «C’est ton problème, tu peux arriver toute fatiguée au bureau de vote. Mais tu es maintenant majeure et ce devoir fait partie de tes obligations civiques.» On ne peut pas prendre les gens par la main et les obliger à voter, mais on peut leur montrer que la possibilité existe. Pour moi, il s’agit d’un élément fondamental de la démocratie et si l’on ne fait pas usage de cette possibilité, elle sera perdue également pour les générations
futures.
Responsabilité à l’égard des générations futures
On risque de dire trop vite: «Fusionnons, puisqu’il n’y a plus assez de gens qui veulent assumer une fonction politique dans notre commune!» Mais qui sait si nos petits enfants et nos arrière-petits-enfants ne seront pas prêts à assumer une telle fonction? Pourquoi ne pas se dire: «Bon, d’accord, il s’agit de maintenir une structure qui n’est pas si mal que ça, c’est grâce à elle que nous vivons depuis presque 200 ans en paix et, en comparant avec ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, nous nous sommes assez bien débrouillés. Pourquoi sacrifier cette structure seulement parce qu’on n’a pas envie de s’engager et qu’on préfère faire un tour à vélo à travers 7 cols ou d’autres choses pour son propre plaisir? C’est incroyable à quel point cette manière de penser est égoïste!»
Lors d’une fusion, tous ces gens qui s’engagent maintenant au fur et à mesure de leurs possibilités dans leur commune, seraient remplacés par les 5 membres du conseil communal et de nombreux fonctionnaires. Ce que les habitants des petites communes ont su régler jusqu’alors de manière économe, serait administré d’en haut par une immense bureaucratie. On sait depuis longtemps que la fusion ne sert pas à réduire les coûts et même les partisans doivent admettre que la fusion entraîne une perte d’autonomie.
La démocratie a besoin de temps et la démocratie a besoin de tous et de chacun. Et si l’on ne veut plus de cela, si l’on ne veut plus donner le temps nécessaire, alors …
Mais je pense que dans 20 ou 30 ans, nous aurons beaucoup de temps puisqu’il n’y aura plus assez de travail pour tous. L’argent nous manquera pour payer toutes les prestations sociales que nous nous sommes offertes.
Préservons le bénévolat!
Je me demande vraiment pourquoi, on veut maintenant détruire le système du bénévolat, alors qu’il offrirait des possibilités de faire quelque chose. Il est pourtant normal de faire quelque chose. Les uns s’engagent dans la commune ou le voisinage, les autres promènent des personnes âgées, travaillent au magasin du monde ou donnent des cours de soutien, etc. Je suis convaincue que dans 10 ou 20 ans, nous n’aurons plus assez d’argent pour financer tout ce qu’on règle aujourd’hui pour les citoyens, mais nous aurons du temps. Mais peut-être, nous ne saurons plus investir ce temps en faveur de la communauté. On ne pourra plus que se plaindre d’être privé de ceci ou cela, et de ne plus savoir que faire de son temps.
Chez nous dans la commune, je connais tout le monde et je sais ce dont chacun est capable. Si jamais j’ai besoin de quelque chose, je m’adresse à celui que je considère comme compétent: «Dis donc, est-ce que tu pourrais faire cela?» Il me répondra peut-être: «Fiche-moi la paix, je ne ferai rien!» Je lui dirai donc: «Ce n’est pas grave, pas de problème» et je m’adresserai à quelqu’un d’autre. Celui-ci dira peut-être: «Eh oui, pourquoi pas, je pourrais essayer de le faire» ou bien «Désolé, actuellement je ne veux pas le faire, mais l’année prochaine demande-moi encore une fois, peut-être que j’aurai envie de le faire.» Si l’on demande quelque chose à quelqu’un, il faut s’attendre à ce que l’autre refuse et il faut l’accepter sans être fâché. Certes, il ne faut pas non plus attendre trop longtemps jusqu’à ce que l’autre soit presque obligé de dire oui puisque le temps presse. Comme je viens de dire, la démocratie a besoin de temps et elle a besoin de chacun.
Merci beaucoup, Madame le maire, de cet entretien.
Vous trouverez de plus amples informations
sur les fusions de communes sous l’adresse:
www.fusionite.ch
Plus la démocratie directe est développée plus les citoyens sont heureux
Les enquêtes de l’économiste suisse de l’université de Zurich Bruno S. Frey et de son collaborateur Alois Stutzer montrent que plus la démocratie directe est développée, plus les citoyens sont heureux. Leurs recherches sont basées sur une enquête sur le bonheur subjectif effectuée entre 1992 et 1994 auprès de 6000 habitants de la Suisse.
Dans cette analyse transversale, le bonheur subjectif est mis en rapport avec un nouvel indice relatif aux droits civiques que la démocratie directe offre aux citoyens des 26 cantons suisses.
L’enquête montre que la possibilité de lancer de nouvelles idées dans le processus politique par le biais d’initiatives populaires augmente le bonheur subjectif de manière significative. Cette corrélation est d’autant plus élevée que le nombre de signatures nécessaires pour lancer une initiative ou un référendum est bas et que le délai légal pour la collecte des signatures est long.
Voici d’autres résultats:
Plus les institutions de la démocratie directe sont développées, plus les citoyens sont heureux. Si les citoyens ont la possibilité de participer directement au processus politique par le biais d’initiatives populaires et de référendums, les politiques sont davantage contraints de répondre aux voeux des électeurs. De plus, quand les citoyens ont la possibilité d’influencer le processus politique, ils acceptent plus facilement des décisions qui ne leur plaisent pas forcément.
Ces résultats correspondent à ceux de recherches antérieures qui constatent également des effets bénéfiques de la démocratie directe sur l’économie. Ainsi, on a pu montrer que plus les institutions de la démocratie directe sont développées:
• moins la dette publique par habitant est importante,
• plus la morale fiscale est élevée et par conséquent moins la fraude est importante,
• plus le revenu par habitant est élevé.
En outre, le fédéralisme en tant que deuxième institution politique fondamentale de la Suisse influence considérablement le bonheur subjectif. Plus l’autonomie communale est développée, plus les habitants sont heureux. La décentralisation politique se révèle bénéfique également dans cette perspective. C’est pourquoi il convient d’être sceptique vis-à-vis des propositions de fusion de communes et de cantons. Les citoyens se sentent apparemment bien dans les entités politiques qui se sont développées au cours de l’histoire. Il faut par conséquent les maintenir au lieu de les détruire.
Sources:
Bruno S. Frey, Alois Stutzer. Des sources du bonheur – Le rôle des institutions démocratiques. In: Commentaire, Numéro 91/automne 2000, pp. 513–21. www.bsfrey.ch/articles/342_00.pdf
Prof. Dr. Dr. h.c. mult. Bruno S. Frey, Ordinarius für Volkswirtschaftslehre an der Universität Zürich. Was macht glücklich? Eine Analyse aus ökonomischer Sicht. In: Coutts Bank (Schweiz) AG. www.bsfrey.ch/articles/D_134_00.pdf
Alois Stutzer und Bruno S. Frey. Stärkere Volksrechte – Zufriedenere Bürger: eine makroökonometrische Untersuchung für die Schweiz. In: Swiss political Science Review 6(3): 1–30. 2000. www.bsfrey.ch/articles/343_00.pdf
(Traduction Horizons et débats)