La collégialité demandée aux élus serait-elle le nouvel outil de pression pour faciliter encore un peu plus « l’élan populaire » vers les fusions de communes ?
En marge du processus en cours dans les communes de Terre Sainte ou de « Basse-Areuse », il y a un outil de contrainte qui est de plus en plus mentionné et qu’il est temps de rajouter aux analyses que nous mettons régulièrement en ligne sur ce site. Cet outil fait partie de la stratégie d’acceptation à disposition des autorités cantonales pour forcer le passage dans les étapes de décision jusqu’à la mise en place des fusions de communes.
Il s’agit de la « collégialité » exigée des membres des autorités pour finir de museler tout indicateur de voix discordantes au démarrage des projets de fusion.
Alors que sur des sujets d’une telle importance démocratique non seulement le vote majoritaire simple est devenu une incongruité, les récents retours sur les projets vaudois ou neuchâtelois qui font l’actualité mettent en lumière la pression dont font l’objet les élus des exécutifs, voire même des législatifs.
L’exemple tout frais du vote concernant Basse-Areuse le démontre : d’intenses négociations ont eu lieu les jours précédent le vote au sein des libéraux-radicaux pour éviter de faire capoter un vote dont on craignait l’issue négative. Sous le prétexte, habituellement foulé au pieds, de laisser la parole au (vrai) souverain, il a été demandé, en substance, aux élus opposants de ne pas entraver le processus « si largement plébiscité » dans les autres communes pour permettre un vote populaire (dont on n’ignore pas qu’il est souvent bien plus facilement influençable).
La manœuvre a bien fonctionné, puisque dans les rangs des verts également, les réticences financières ont vite été balayées et que le Président des socialistes, lui-même, a évité la manifestation publique de son opposition à la fusion en étant absent le soir du vote boudrysan.
Les opposants copétans ont également rapporté le reproche adressé à leur syndic par ses homologues « de ne pas tenir ses troupes » après le résultat étriqué du vote sur le crédit d’étude de fusion (28 oui contre 24 non) et le dépôt d’un référendum.
L’affirmation, maintenant régulièrement diffusée « qu’il n’est pas normal d’être contre les fusions » s’accompagne donc d’une injonction, en sous-main, à se mettre au garde-à-vous d’un volontarisme qu’on voudrait prouver comme unanime.
Dans le Canton de Vaud, c’est bien ce qui ressort de la lecture de l’Exposé des motifs et projet de loi modifiant la loi sur les fusions de communes (LFusCom) par un décret sur l’incitation financière aux fusions de communes (DIFFusCom) dont l’article 2.8.5 est suffisamment éloquent.
Tout était parti d’un article de la Loi sur les communes (LC) (Art.65b) qui précise que « la municipalité fonctionne en collège ».
Dès l’abord, quand la loi fut discutée, des commissaires ont souligné que la signification de l’expression « fonctionne en collège » n’était pas très claire, la collégialité s’apparentant à une règle non écrite dont la signification usuelle est que la décision prise au final est portée par la municipalité dans son ensemble, quelles que soient les divergences internes. Même exceptionnelle et sans conséquences juridiques pour l’intéressé, il n’est pas clairement établi si la rupture de collégialité en cas de dissensions politiques est légale ou illégale. Mais, même au nom de la collégialité, on ne peut complètement museler les personnes qui ne pensent pas comme la majorité.
Fort de ces constats, plusieurs commissaires avaient estimé à l’époque que permettre, dans des cas exceptionnels, à un point de vue politiquement divergent de s’exprimer permettrait justement d’éviter des ruptures de collégialité.
D’autre part, si le fait de défendre des positions qui ne sont pas les siennes est le principe de base qui devrait être appliqué pour tout municipal, parfois, quand la question touche à des principes importants, on peut s’interroger si la décision du collège elle-même va dans le sens de l’intérêt communal. Mais dès lors qu’aucune exception au respect de ce principe n’est prévue par la loi, la rupture de collégialité est d’une certaine manière toujours illégale, même si elle n’est pas sanctionnée.
Par contre, si rien ne précise qu’une rupture de collégialité est illégale, elle ne doit pas permettre qu’un blâme soit porté : les ruptures de collégialité existent et il n’est pas à exclure que l’on doive faire face à une dérive des blâmes.
Dès lors, un commissaire avait déposé un amendement visant à ajouter deux nouveaux alinéas dont le but était de clarifier la notion de collégialité et de gérer les cas de ruptures de collégialité :
- Elle[la municipalité] porte collégialement ses décisions.
- A titre exceptionnel, en cas de divergence politique, un membre du collège peut communiquer sa position.
En absence de sanction juridique possible en cette matière, une telle disposition dans la loi aurait limité la portée et la durée du malaise au sein des municipalités.
A contrario, d’autres membres de la commission ont estimé que la rupture de collégialité est un acte fort de la part d’une minorité. Pour qu’il reste fort, il doit donc être utilisé avec une extrême parcimonie au risque qu’il ne signifie plus rien. Dès lors et du moment que la rupture de collégialité n’est pas juridiquement sanctionnée, la codifier aurait pour conséquences de lui faire perdre sa symbolique, voire de l’encourager.
Malgré l’adoption des deux nouveaux alinéas en commission, le texte de la Loi sur les communes (LC) en est resté à sa formulation générale…
De plus, le Conseil d’Etat vaudois a rappelé son interprétation très restrictive de la collégialité dans la réponse à une interpellation d’un député, en pointant les ruptures de collégialité comme cause des échecs de fusions :
2.8.5 La rupture de collégialité
Dans quatre communes impliquées dans trois projets de fusions, la rupture de collégialité a pesé lourdement dans le vote final sur le projet de fusion. La cohésion municipale est un élément essentiel dans la réussite d’un projet de fusion. Il convient de rappeler qu’une Municipalité fonctionne de manière collégiale, conformément à l’art. 65b de la loi du 28 février 1956 sur les communes (LC ; RSV 175.11). Il appartient ainsi à ses membres de soutenir les décisions prises par l’Exécutif communal auprès de sa population, même en cas d’avis divergent. Toutefois, les membres de l’Exécutif communal restent libres de convaincre le collège de se retirer d’un projet de fusion durant la phase d’étude. En revanche, exprimer publiquement un désaccord après l’adoption par la majorité de la Municipalité du préavis relatif à la convention de fusion constitue une rupture non appropriée du principe de collégialité. Ce principe s’applique à tout traitement d’objets devant l’organe délibérant, à l’instar de toute proposition ou projet de la municipalité. Il convient cependant de rappeler que dans l’immense majorité des projets de fusions, les autorités communales étaient unies tout au long du processus de rapprochement.
Alors, après cela, nos élus oseront-ils encore porter bien haut les réticences de ceux qu’ils sont censés représenter ?