S’il est une chose qui soit strictement respectée depuis le début de la vague des fusions de communes, c’est l’agenda du processus. Plus il est serré, plus il est efficace et quelques ficelles permettent d’empaqueter le tout.
Examinons aujourd’hui la fameuse « étude de faisabilité » dont l’annonce, pleine de promesses, permet à la population de « faire trempette » et de s’habituer lentement à la douche (froide!) par laquelle elle va être obligée de passer.
La réponse avant la question
Une première chose frappe d’entrée quand une « idée de fusion des communes » est présentée aux citoyens d’un territoire, c’est l’absence préalable d’une problématique communale à résoudre depuis longtemps. On pourrait s’attendre que les communes concernées aient rencontré des questions insolubles depuis longtemps et sur lesquelles elles ont DEJA planché depuis de longs mois, sans succès, en examinant les alternatives qui se présentent à elles et après avoir, peut-être encore, mis en oeuvre des solutions se révélant finalement inefficaces.
En effet, la plupart du temps, les citoyens découvrent avec surprise la proposition de fusion avec une ou plusieurs communes voisines, émanant de leurs autorités; proposition de fusion qui va servir de fil conducteur pour toute la législature, mais dont ce n’a pas du tout été un thème au moment des élections.
Bien entendu, ce « thème » fait partie depuis quelques années de la stratégie des autorités cantonales qui ont mis en place des incitations financières et un entonnoir législatif ad hoc, repris maintenant de manière « spontanée » par les membres les plus « ambitieux » des exécutifs communaux.
Installer le COPIL et les consultants dans leur rôle dirigeant
Pour mieux contrôler le processus, profitant de leur position d’élus (sans mandat pour mettre sur pieds la disparition de leur commune), les promoteurs de la fusion s’installent dans les rôles dirigeants (COPIL=Comité de pilotage), s’attribuant les postes clés et distribuant les mandats à des consultants dont la compétence est justement de faire aboutir les fusions de communes à l’exclusion de toute autre solution de renforcement ou de réorganisation de la collaboration.
…et les citoyens comme consommateurs de la politique !
La professionnalisation voulue du personnel politique transpose toujours plus la logique économique (producteur / consommateur) au niveau politique : les électeurs deviennent des consommateurs de politique, les hommes politiques des producteurs de politique. Et comme toujours, au final, le consommateur paie.
Les citoyen(ne)s sont considérés comme les « clients » de l’administration publique. Ils sont consommateurs de « prestations ». Cela a pour conséquence, comme en économie, d’amener une adaptation du producteur politique à la demande politique.
La communication avant l’information
Et la demande, c’est bien connu, ça se forge…
Des outils de présentation standardisés sont mis à disposition des exécutifs, afin de faciliter le travail de persuasion des élus locaux envers la population. L’analyse des documents ou du discours pro-fusion est révélatrice d’une préoccupation constante de diffuser un message « positif » souvent illustré de phrases creuses dont la tournure stylistique ne le concède en rien à la vacuité du contenu.
Pour un enjeu aussi important, les outils de la plus pure propagande sont bien-entendu aussi de la partie. Les promoteurs n’hésitent pas à mêler information et désinformation. Ainsi ce qui est argument pour les uns devient contre-arguments pour les autres.
Préparer les esprits à « l’inéluctable »
Au départ, les promoteurs lénifient : l’étude est simplement destinée à évaluer « de manière approfondie » les effets positifs ou négatifs d’une « éventuelle » fusion. L’étude représente une occasion unique de réfléchir à une gouvernance moderne qui permettrait d’intégrer des outils modernes de gestion et de professionaliser les tâches administratives. A partir d’un « état de la situation » avec une « analyse multicritères », des « recommandations stratégiques » mobilisées par des « algorithme de décision » permettront de conclure que la forme de rapprochement la plus adéquate est la fusion des communes… Et qu’il est même urgent de se mettre à la tâche.
Tremper le citoyen dans l’eau du bain
Dès lors, on ne tourne plus autour du pot, il s’agit maintenant de préparer cette fusion en appelant la population à participer à la création de ce qui sera SA nouvelle commune. On ne l’appelle pas pour participer à une réflexion, mais on lui demande déjà une vision de ce que sera la nouvelle commune. Plutôt que de débattre aussi et surtout des enjeux et des conséquences de la disparition de sa commune, on lui propose du menu fretin et on distrait le citoyen avec des éléments qui supposent que tout est déjà décidé. Le « Guide des fusions de communes du Canton de Vaud » regorge de « recommandations » pour fédérer les populations:
- organiser des concours(choix du nom pour le nouveau bébé (mais la décision reste l’apanage du COPIL), des nouvelles armoiries (mais proposées par des historiens qui « en connaissent plus » que les vernaculaires), idées de projets communs
- jeux de rôle (imaginer si nous habitions ensemble)
- liste des activités culturelles et sociales déjà en commun (fanfare, chorale, gyme, théâtre…)
Et, last but not least, on suggère la promesse phare qui doit tout balayer : le taux d’impôts, à la baisse bien entendu.
… et faire oublier les autres solutions
La fusion est le cap absolu et toute alternative est d’ores et déjà disqualifiée.
Si la fusion n’est pas une solution à écarter à priori, elle n’en représente pas moins qu’une des multiples alternatives à une collaboration légitime et louable des communautés humaines. Et elle ne s’impose en tout cas pas comme une nécessité institutionnelle partout, devenant une stratégie mise en oeuvre dans bien des cantons. Cela frise le ridicule, disent certains, cela offense en tout cas le bon sens. Car elle supprime (ou pour le moins dilue fortement), ni plus ni moins, l’échelon démocratique le plus proche de la population.
100% des études de faisabilité concluent que la fusion est LA solution à appliquer
Finalement, il n’est pas surprenant de constater que la totalité des études de faisabilité lancées au début d’un projet de fusion concluent que la forme de rapprochement la plus adéquate entre les partenaires désignés est la fusion et qu’il est maintenant grand temps de se mettre à la tâche!
Tout est « faisable », surtout d’aider les communes à s’affirmer !!
Alors ? plutôt que d’établir la faisabilité de la fusion, qui se fera si les citoyens acceptent de mettre le doigt dans l’engrenage, n’est-il pas plus urgent et important de réfléchir à ce qui peut amener les communes à s’affirmer (et se confirmer) comme la cellule de base de la démocratie, non pas en voulant la pousser à gonfler comme une baudruche, mais en lui donnant les moyens qui lui manquent peut-être temporairement pour assumer complètement ce rôle pour sa population.
Nous y reviendrons dans un prochain article…