novembre 29, 2023

Fusion Sion-Veysonnaz: des camps «irréconciliables» débattent des enjeux

Publié le 17 mai 2023 sur le site lenouvelliste.ch par Dimitri Mathey

Lors des débats du Nouvelliste, vendredi et lundi, partisans et opposants ont distillé leurs arguments sur une éventuelle fusion entre Veysonnaz et Sion. Deux salles, deux ambiances avec, peut-être, un destin commun.

À Veysonnaz, admettons-le d’emblée, on craignait des incartades. Là où un village se divise, des familles se brouillent, on redoutait des propos étouffés par les tensions. Des discours dilués dans la grogne. Bref, on soupçonnait une soirée au mieux agitée, au pire inaudible. À tort.

Le débat entre opposants et partisans, mais aussi avec la salle, est pacifié. À peine quelques bourdonnements ponctuent l’une ou l’autre intervention. Ce climat, d’apparence apaisé, est davantage dicté par la résignation que la tolérance. À un mois du scrutin, les fronts sont figés. Et les arguments se sont essoufflés. Le «oui» ne raisonnera pas le «non». Et inversement.

Aujourd’hui, les camps sont difficilement réconciliables, mais demain, quelle que soit la décision, il faudra se retrouver et avancer ensemble.
Patrick Lathion, président de Veysonnaz

«Aujourd’hui, les camps sont difficilement réconciliables, mais demain, quelle que soit la décision, il faudra se retrouver et avancer ensemble», résume Patrick Lathion, président de Veysonnaz. S’il s’engage dans ces fiançailles, martèle-t-il à l’adresse de ses administrés, «c’est pour la survie du village».

En face, on lui rétorquera que le principe d’un mariage n’est pas contesté. C’est l’élue, trop urbaine – ou pas suffisamment nendette – qui repousse les opposants.

Une meilleure fiscalité

Retour à la salle. Comble à l’heure d’amorcer un débat orchestré en trois temps. Il s’ouvre d’abord par un volet financier. Ou «la partie pognon», c’est selon.

C’est peut-être l’argument le plus saillant du côté des partisans, une fusion avec la municipalité sédunoise permettrait aux Barloukas d’économiser, au bas mot, environ 20% d’impôts. «Voire 35%» dans certains cas, assure David Théoduloz, vice-président de Veysonnaz.

Sur le papier donc, l’épargne est persuasive. Mais l’avantage fiscal est émaillé par de nombreuses taxes annexes, nuance François Fournier, directeur de NVRM et défavorable à l’union. «Quand un lieu de prestation est plus éloigné, on augmente forcément les coûts».

Quand un lieu de prestation est plus éloigné, on augmente forcément les coûts
François Fournier, directeur de NVRM

Pour étayer son argumentaire et dans un feuillet distribué dans toutes les boîtes aux lettres de la commune, le mouvement «Ensemble pour Veysonnaz» compare la fiscalité sédunoise et nendette. Selon leurs conclusions, contestées par les autorités, un mariage avec Nendaz accoucherait d’une politique fiscale plus avantageuse qu’avec la capitale.

Les repas en plat de résistance

Assis aux côtés de François Fournier, dans le camp des opposants, Loïc Deunff acquiesce. Et précise la démarche. «Aujourd’hui, il nous manque une vision globale du projet. Il faut savoir combien le citoyen devra débourser au total». Il chiffre, «par exemple», la douloureuse des repas à 750 francs par élève barlouka scolarisé au cycle d’orientation de Sion. Soit 7 francs par jour. «Faire à manger à la maison ne coûte pas moins cher», réagit Patrick Lathion dans la foulée.

Aujourd’hui, il nous manque une vision globale du projet. Il faut savoir combien le citoyen devra débourser au total.
Loïc Le Deunff, citoyen Barlouka membre du comité d’opposition «Ensemble pour Veysonnaz»

Après la pitance, l’agriculture s’invite dans l’argumentaire. Une thématique lourde de sens en montagne, mais légère aux yeux de la capitale, avance François Fournier. «À Nendaz, la commune participe à hauteur de 10% à l’achat d’un véhicule agricole. Si l’engin coûte 80 000, il en faudra des tranches d’impôts pour rivaliser», lance-t-il en direction du président sédunois. Philippe Varone saisit la balle au bond. «Nous nous adapterons en fonction du nombre d’agriculteurs, mais à ma connaissance, ils ne sont pas si nombreux».

Grogne dans la salle. Et premier avertissement. L’urbain ne doit pas se substituer au montagnard.

Une représentativité diluée ?

Une fois la question des finances épuisée, le débat se reporte sur le pouvoir. Et les opposants trépignent. A eux, désormais, de sortir l’artillerie lourde.

«Veysonnaz représente 1,7% de la population sédunoise, ce n’est pas suffisant pour faire entendre notre voix et défendre nos intérêts», projette Loïc Le Deunff. Les 400 votants barloukas, ou plutôt «la moitié qui se rendent aux urnes», n’ont pas le poids électoral d’élire des représentants du village à l’exécutif ou au législatif.

Si Patrick Lathion et David Théoduloz ne brigueront pas un fauteuil à la municipalité, la capitale offre, selon eux, «une vraie opportunité pour les jeunes». Du moins, pour les aspirants politiciens qui voudraient mettre un pied dans la porte du Conseil général. «C’est un excellent moyen de se lancer», abondent-ils.

Lui-même membre du législatif sédunois, Martin Reist s’autorise une autre lecture. «Voilà 10 ans que je suis au Conseil général et ce sont toujours les mêmes personnes qui siègent», relève l’opposant au «Grand Sion». «La participation populaire de Veysonnaz sera peu à peu effacée et le village deviendra un quartier de la capitale». Dans la salle, on tressaille. L’argument identitaire pèse de tout son poids sur le débat.

La participation populaire de Veysonnaz sera peu à peu effacée et le village deviendra un quartier de la capitale.
Martin Reist, conseiller général sédunois et membre du mouvement «Non au Grand Sion»

Philippe Varone, lui, nuance le tableau. «En 2013, après la fusion entre Sion et Salins, l’ancien président de la commune, Nicolas Rossier, est rentré à l’exécutif». D’une manière générale, estime encore l’élu, «les candidatures de Veysonnaz peuvent obtenir l’appui de la plaine».

La froideur du béton contre la promesse des lits chauds

Oublions quelque peu la politique. Ou les préoccupations électorales. Et concentrons-nous sur l’aménagement du territoire. L’enjeu est à la mesure du scrutin, il dessinera les lignes directrices de l’avenir du village.

Aujourd’hui, le taux de résidence secondaire explose le plafond légal de 20% pour culminer à 70,5%. Un mariage avec Sion précipiterait cette moyenne à 9,3%. En clair, construire ne serait plus une chimère, mais une possibilité. Reste à savoir si c’est une volonté.

Les opposants le martèlent, ce changement de paradigme augure un destin cimenté. Un bétonnage qui défigure, oui, mais qui présage également une explosion des prix du terrain. Jusqu’à disqualifier les nouvelles générations de la propriété.

Il faut transformer le risque en opportunité.
David Théoduloz, vice-président de Veysonnaz

«Bien sûr qu’il y a un risque», reconnaît David Théoduloz face à ces griefs. «Mais il faut transformer ce risque en opportunité». Le vice-président dévoile au passage son garde-fou. «Nous allons proposer à l’assemblée primaire d’interdire des nouvelles constructions au cœur du village». Et ce, avant que le mariage ne soit consommé.

Limiter l’urbanisation

L’engagement retentit comme une promesse. Qui intéresse jusque dans les rangs contestataires.

«Je prends connaissance avec satisfaction de cette intention, mais malheureusement, il est impossible de mettre en place ces mesures dans les délais», estime François Fournier. Autrement dit, à l’heure de sceller son avenir, le sceau sera sédunois. Et selon ses mots, «il n’y a aucune garantie que cette vision soit défendue par la capitale».

La capitale, justement. Elle observe. Choisit son vocabulaire. Et rassure. «Nous voulons développer des lits chauds avec des logements abordables aux portes de la grande nature», affirme Philippe Varone qui décèle un intérêt pour une frange de la population en quête «d’un habitat primaire» à moindres coûts. «Des familles sédunoises viendront renforcer cette vitalité villageoise déjà bien présente».

Nous voulons développer des lits chauds avec des logements abordables aux portes de la grande nature
Philippe Varone, président de la ville de Sion

Confiants ou sceptiques, les citoyens entendent les arguments. Mais toute la soirée durant – et jusqu’au 18 juin – ils écouteront leur cœur.

Et à Sion, on en parle ?

Les mots noircissent la page, les lignes, les colonnes se dérobent et pas une goutte d’encre n’est encore consacrée au débat sédunois de lundi dernier. Pour seule défense, on pourrait avancer que cette fusion ne change fondamentalement rien au destin des citadins.

De l’aveu de chacun ou presque, mais volé pour l’occasion aux lèvres de Patrick Siggen, ce mariage «ne présente pas d’inconvénients majeurs, ni de gros avantages pour la capitale».

Cette fusion ne présente pas d’inconvénients majeurs, ni de gros avantages pour la capitale
Patrick Siggen, conseiller général et membre du mouvement «Non au Grand Sion»

Le conseiller général milite pourtant farouchement contre ces fiançailles. Dans les travées du législatif d’abord, sur le pavé de la vieille-ville ensuite. Aux côtés du collectif «Non au Grand Sion», il dénonce une fusion contraire à la logique. Son mouvement – au patronyme équivoque – ne cible pas Veysonnaz, mais les ambitions sédunoises.

Un premier jalon à la capitale suisse des Alpes ?

À Sion, à l’aula du collège de la Planta, les orateurs du soir sont prêts. Face à eux, plus de 200 personnes s’agitent sur leur chaise. Le climat est tendu. Electrique souvent, délétère fois.

Philippe Varone ouvre le débat. Fusionner, dit-il, c’est «respecter la demande de Veysonnnaz et assumer nos responsabilités». C’est sobre.

En face, l’opposition s’épargne la quiétude d’un préambule. «La capitale veut avaler du territoire pour s’étendre de l’Italie aux alpes bernoises», lance Françoise Gianadda, membre du collectif «Non au Grand Sion».

Dans son viseur, le projet municipal estampillé capitale suisse des Alpes. Cette «intention stratégique» dessine à 30 ans une agglomération urbaine et montagnarde de 65 000 à 90 000 habitants. Une telle entité – qui placerait une quinzaine de communes sous l’égide de Sion – pèserait alors davantage sur Berne.

La capitale veut avaler du territoire pour s’étendre de l’Italie aux alpes bernoises
Françoise Gianadda, membre du mouvement «Non au Grand Sion»

Les détracteurs de cette vision, eux, se hérissent à l’idée d’un mariage plaine-montagne et dénoncent le gigantisme du projet. «On ne peut pas gérer correctement tous ces villages ou hameaux depuis Sion, c’est une aberration», avertit Patrick Siggen.

Et selon le conseiller général, une fusion avec Veysonnaz poserait un premier jalon à la stratégie. «Nous sommes favorables à un développement urbain dans la continuité du bâti. Il faut défendre l’indépendance de nos régions de montagne». Ou, a contrario, accepter que «le grand cannibalise le petit», appuie Françoise Gianadda.

Le ton est donné. Et il n’est plus à la sobriété. Même si l’ancien chef de l’exécutif de Salins tempère. «En 2015, quand nous avons fusionné, personne n’a eu le sentiment de s’être fait bouffer par Sion. On savait que notre avenir était compromis sans ce mariage», se remémore Nicolas Rossier.

Sion ville alpine

Devant ses administrés, Philippe Varone défend sa vision. Ou celle de l’exécutif, corrigerait-il. «Sion est déjà une ville alpine qui s’étend de 500 à 2200 mètres. On ne peut plus se développer seul, on doit regarder à droite, à gauche, en haut et en bas».

Qui de Sion ou de Veysonnaz, qui s’arrête à 1300 mètres, est une commune montagnarde ?
Patrick Lathion, président de Veysonnaz

Son homologue Barlouka acquiesce. Lui aussi cherche à désacraliser l’union exclusivement alpine. Ou urbaine. «Qui de Sion ou de Veysonnaz, qui s’arrête à 1300 mètres, est une commune montagnarde ? Et comment peut-on dire que ces deux entités partagent des destins différents ? Nous avons les mêmes besoins et les mêmes aspirations», soulève Patrick Lathion.

Une station à part entière

Si Sion scelle ses fiançailles avec sa promise, la cité au pied des domaines skiables deviendra alors une station. Un constat logique, mais aussi problématique, estime Patrick Siggen. «Nous sommes au cœur du Valais et il ne faut pas favoriser un domaine en particulier».

Pour éviter les traitements de faveur, Philippe Varone rappelle qu’une SA du tourisme sera constituée en partenariat avec douze communes voisines.

Le chef de l’exécutif assure également que la capitale ne s’immiscera pas dans le marketing alpin. «Veysonnaz est une marque forte et ce serait une erreur de vouloir intégrer Sion aux 4 Vallées».

La soirée se poursuit. Les questions fusent. Heurtent ou écorchent certains débattaires. Des huées éclaboussent la diatribe d’un citoyen qui dénonce «un échec des exécutifs», «un choix qui divise plus qu’il ne rassemble».

Les deux camps s’irritent sans se parler. Il est temps de conclure. Et d’espérer qu’au lendemain du scrutin, à l’aube du 19 juin, les fronts se défigent. Sans se défier.