décembre 08, 2023

6 ans après, chacun défend encore sa chapelle (F)

Publié sur le site lyonne.fr le 22 février 2022

Communes nouvelles : six ans après les fusions, chacun défend encore sa chapelle

Communes nouvelles : six ans après les fusions, chacun défend encore sa chapelle

A Charny, la commune nouvelle Charny-Orée-de-Puisaye n’est pas encore entrée dans les mentalités. Les habitants des villages, notamment, ont le sentiment d’avoir été absorbés. © Marion Boisjot

Depuis 2015, la loi autorise les petits villages à fusionner pour ne former plus qu’une entité. Dans l’Yonne, onze communes nouvelles ont ainsi été créés en six ans. Plus ou moins sans heurts. Au quotidien, comment le vivent les habitants ? Reportage à Charny-Orée-de-Puisaye, qui avec 14 communes est l’une des plus grandes communes nouvelles de France, et la plus grande de l’Yonne.

L’entrée du village affiche : « Marchais-Béton, commune de Charny-Orée-de-Puisaye ». L’un des rares panneaux où figure le nom complet de la commune nouvelle. « La mairie les avait changé, mais elle a fini par remettre les anciens parce que les gens n’étaient pas contents. » Laurent Tavelin, patron du restaurant Les gars du coin, à Charny, et président de l’Union commerciale et artisanale, résume parfaitement avec cette anecdote le ressenti des habitants de Charny-Orée-de-Puisaye.

Le village de Marchais-Béton est l’un des seuls où figure le nom entier de la commune nouvelle. 

Depuis le 1er janvier 2016, cette grande commune nouvelle en rassemble 14, celles de l’ancienne communauté de communes Orée de Puisaye. Un changement de statut qui date d’il y a six ans déjà, mais ne se traduit pas encore dans les mentalités. « Encore aujourd’hui, chacun reste attaché à son village », sait lui aussi Arnauld Méric, co-président de l’association de la Grange aux dîmes.

« Un territoire grand comme Marseille »

Il faut dire qu’ici plus qu’ailleurs, la fusion n’est pas simple, d’autant plus que des tensions agitent le conseil municipal, qui a connu cinq démissions depuis le début de mandat. « On est quatorze villages, c’est beaucoup trop ! Trop de maires, trop de monde qui veut gérer, ressent Jean-Pierre, un habitant du bourg-centre, Charny. Je crois que ça ne marchera jamais. » « Et puis en superficie, on est un territoire grand comme Marseille, vous vous rendez compte ? », s’exclame Claude, habitant de Prunoy.

Jean-Pierre et Claude pensent que la commune nouvelle n’a pas tenu promesse. 

Charny-Orée-de-Puisaye s’étend en effet sur un peu plus de 230 km2, et compte près de 5.000 habitants. Si chaque village possède son maire délégué, la mairie est bien à Charny. C’est peu dire que cette centralisation pèse aux habitants. « On a détruit les campagnes. Y’a plus de vie. Tout se passe à Charny. C’est la grande commune qui profite et les petits villages qui pâtissent », assure Jean, accoudé au bistrot chez Clochette, derrière les halles.

Dans le bistrot chez Clochette, les habitués sont tous contre la commune nouvelle.

D’autres habitués aquiescent. « Cette commune nouvelle, c’est de la bêtise. On y a pas trouvé d’amélioration. Y’aurait fallu nous demander notre avis… » Anne, la patronne, nuance. « Je n’ai rien contre. Mais je trouve que les communes ne sont plus entretenues. C’est sale, il n’y a plus de fleurs… Avant, chaque village avait son cantonnier. Maintenant, ils ne peuvent plus être partout… c’est trop grand, ça fait trop de trajets. »

Anne, la patronne : « Je trouve que les communes ne sont plus entretenues. C’est sale, il n’y a plus de fleurs… Avant, chaque village avait son cantonnier. » 

Cette histoire de cantonnier revient souvent. Comme à Grandchamp, où se promènent Catherine et Danielle, deux retraitées. « Je préférerais que notre village soit resté indépendant. Je trouve qu’on y a perdu, que c’est moins entretenu et qu’il ne se passe plus rien », pense Catherine, qui vit ici depuis l’enfance. « Je suis allée à l’école ici, mon fils aussi, mon petit-fils aussi », sourit-elle. L’école, justement, risque de partir ailleurs. « Il est envisagé de faire une école commune à Saint-Martin-sur-Ouanne », déplore la villageoise, qui ne se sent aucun sentiment d’appartenance à la commune nouvelle. « Je suis de Grandchamp, moi, pas de Charny-Orée-de-Puisaye. » « Dans les villages, on n’a que les restes. On se sent relegués », renchérit son amie Danielle. « Avant, ça marchait très bien. Le maire gérait son village, on savait qui c’était, on pouvait aller aux réunions de conseil et surtout on avait notre propre cantonnier », résume Catherine.

A Grandchamp, Danielle et Catherine se sentent « reléguées ». 

« La commune nouvelle, pour moi, c’est une erreur. Chaque commune y perd son identité et son âme. Et c’est d’une extrême complexité. On perd de l’argent au final. Avec 14 communes, la maire est submergée. Quand il y a un problème, on ne sait plus à qui s’adresser », explique un responsable associatif, préférant rester anonyme. « Les petites communes sont arrivées avec une trésorerie. Aujourd’hui, tout part à Charny. On a été mangé », regrette Jean-Pierre, qui vit pourtant dans le bourg centre.

« La fusion a été trop rapide »

« Les gens ont l’impression que Charny a tout absorbé, reconnaît Arnauld Méric. Mais il faut accepter que c’est effectivement le bourg principal, et qu’il y a plus de charges de centralités et plus d’investissements à y faire. » Pour lui, la commune nouvelle, « c’est totalement positif ». « Aujourd’hui, un village de 200 ou 300 habitants, ça n’a plus de sens. Un regroupement permet d’être plus puissant. » La problématique de Charny-Orée-de-Puisaye tient ainsi selon lui davantage à une question de timing. « La fusion a été trop rapide. Si ça avait été plus progressif tout serait différent. » Notamment politiquement, entend-il. « Depuis qu’on est une commune nouvelle, de fait on est passé au scrutin de liste. Du coup, les maires délégués sont parfois des gens non choisis par les habitants, non connus. On a une maire qui n’habite même pas le territoire. Ca éloigne les élus des citoyens et c’est dommage. Tout ceci serait formidable si on avait des élus de qualité. Aujourd’hui, on est dans l’immobilisme total alors qu’en tant que commune nouvelle, on aurait pu avoir une vraie force de frappe. »

Pour Arnauld Méric, la fusion pourrait être bénéfique mais les querelles politiques suscitent l’immobilisme.

Ces querelles de clocher touchent aussi Montholon, autre commune nouvelle icaunaise, qui se retrouve dans l’attente de nouvelles élections suite à la démission du maire. « Dans nos campagnes, un bout de terre, c’est un bout de terre. On est encore dans cet esprit là et du coup chacun veut garder son petit clocher. Au lieu de créer de l’unité, ça a créé des tensions entre les villages », déplore une habitante de Montholon, investie dans la vie associative. « Je ne pense pas que la commune nouvelle ait apporté ce qui était espéré, pense un autre habitant. Il y a eu un peu de mutualisation en ce qui concerne le personnel, mais sinon, chacun reste dans son coin. »

Pourtant, des exemples de réussite, il en existe. Comme dans le Sénonais, avec Les Vallées de la Vanne, commune nouvelle composée de trois anciens villages. Peut-être parce qu’ici, les proportions restent peu étendues, et que la population avait été consultée en amont. « On a fait un sondage et une large majorité des habitants qui se sont exprimés était favorable à un regroupement », explique Luc Maudet, le maire. Et si la perte d’identité était une crainte, elle a été vite balayée : les villages ont tout simplement conservé leurs noms.

Élodie Ménard : « Nous faisons en sorte de faire vivre nos villages », assure la maire Elodie Ménard

Photo d’archives V. T
« Gérer un village de 200-300 habitants n’est déjà pas simple. Ici, on ne démultiplie pas par 14 mais par bien plus », commente la municipalité de Charny-Orée-de-Puisaye.

Élue maire de la commune nouvelle le 28 juin 2020, l’ex-maire déléguée de Fontenouilles, Élodie Ménard l’avait emporté à 39 ans au second tour, au terme d’un scrutin à suspense avec trois listes et 55 sièges à pourvoir. Aujourd’hui, l’élue poyaudine insiste sur sa volonté de « garder la particularité de chaque village », qu’elle assure ne pas « remettre en cause ». « Nous faisons en sorte de faire vivre nos villages. Le marché de Charny a pris de l’ampleur mais d’autres, saisonniers (à Perreux, Grandchamp, Chevillon), existent pour aussi créer de la vie. »

« Il y a une perception des choses, liée à cette création de commune nouvelle, qui génère des interrogations légitimes, cette sensation de dispersion. Mais ce n’est pas la volonté de la commune », ajoute Arnaud Xainte. De Chambeugle à Villefranche, le premier adjoint concède « des traditions très ancrées et des habitants installés depuis plusieurs générations ».

La municipalité dit continuer « cette prospective de maintenir nos villages, que défendent les maires délégués, et tout se fait au fur et à mesure », défend Élodie Ménard. « Nous réfléchissons à apporter le service, la mobilité, pour que les gens n’aient pas ce sentiment d’être isolé. »


Une commune nouvelle est issue de la fusion de plusieurs communes précédentes. Ce statut est créé par la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Elle a été adoptée le 16 mars 2015, afin d’inciter à la création de communes nouvelles en instaurant un pacte financier qui garantit, pendant trois ans, le niveau des dotations de l’État, aux communes fusionnant dès 2015 ou 2016. Mais pourquoi ? La France, qui comptait près de 36.800 communes en 2015, regroupait alors à elle seule un tiers des communes de l’Union européenne. Cet émiettement se traduit par un nombre élevé de petites communes avec peu de moyens. Les dispositions préexistantes n’ont eu que peu d’effet (1.100 communes ont été supprimées par fusion, de 1971 à 2009) par rapport à la plupart des pays européens qui ont, au cours des années 1970, réduit, de manière souvent significative, le nombre de leurs communes. Depuis la création du statut de commune nouvelle, les fusions se sont accélérées. Au 1er janvier 2021, la France comptait 778 communes nouvelles sur l’ensemble du territoire national, regroupant plus de 2.500 communes et 2,5 millions d’habitants. Dans l’Yonne, onze communes nouvelles ont été créées, entre 2016 et 2019. Au 1er janvier 2019, cela porte à 423 le nombre de communes du département (au lieu de 455 jusqu’en 2015).

Texte : Cécile Carton, avec Vincent Thomas
Photos : Marion Boisjot
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